Cahier critique 22/11/2022

“Boniek et Platini” de Jérémie Laurent

Été 1982. Deux cousins, Zbyszek et Michel, jouent au ballon dans les rues du quartier de Praga à Varsovie. La Pologne est en état de siège depuis 6 mois et la Coupe du monde de football en Espagne touche à sa fin.

À la seule lecture du titre, c’est un doux parfum de nostalgie qui s’exhale immédiatement pour qui avait une dizaine d’années lors de cette Coupe du monde de football – ou plutôt le “Mundial” – qui se déroula en Espagne, entre le 13 juin et le 11 juillet 1982. Pile comme les deux jeunes héros du film, Zbyszek et Michel, cousins et fans de foot qui se retrouvent chez le premier, dans un quartier tristounet de Varsovie, en une journée très particulière. Le jeudi 8 juillet ont en effet lieu successivement les deux demi-finales du tournoi : Italie-Pologne d’abord (à 17h15 à Barcelone) ; RFA-France ensuite (à 21h à Séville). 

Zbyszek est fan de son presque homonyme Zbigniew Boniek, le meilleur joueur de l’équipe polonaise ; Michel porte le prénom de son idole, le numéro 10 des Bleus : Platini. Les deux matches, pourtant, qui verront les favoris des deux garçons défaits et éliminés, ne constituent pourtant pas l’essentiel du film ; on n’en verra du reste pas d’images, le réalisateur préférant les représenter via le son de la retransmission de la télévision polonaise. Le choix est n’est pas malheureux, permettant par exemple de concentrer l’incroyable scénario de la partie, devenue légendaire, entre Allemands et Français en mixant les notes de la Marseillaise et les grands moments du match, tout en cadrant les garçons et leurs mères respectives, enfin intéressées par l’enjeu, à travers leurs réactions, entre allégresse et déception. 

Mais l’essentiel, et c’est la bonne idée du récit, est de jouer surtout du cadre politique général dans lequel s’inscrit l’événement, à savoir l’état de siège en vigueur dans le pays depuis quelques mois, avec l’émergence du syndicat Solidarnosc dirigé par Lech Walesa et la crainte de subir le sort de la Hongrie en 1956 ou de la Tchécoslovaquie en 1968. Le pouvoir autoritaire du régime de Jaruzelski est évoqué discrètement, au gré du premier plan puis de la conversation entre les adultes (on apprend ainsi que le père de Zbyszek a été arrêté et tabassé), puis véritablement incarné par une paire de miliciens butés, volontairement stéréotypés “bêtes et méchants” à la Scola, confisquant le ballon des cousins jouant dans la rue avant le début des demi-finales. Un trésor, d’autant qu’il s’agit du mythique “Tango” dont tous les amateurs de foot se souviennent, et qui deviendra un enjeu de justice et de liberté, médiatisé par un “deux contre deux” improvisé dans le décor un rien sinistre de la caserne attenante. 

Et cette charmante chronique à la parfaite reconstitution vintage (voir le beau maillot des Bleus, encore sans étoile, enfilé par Michel) prend valeur d’épisode initiatique moins anodin qu’il y paraît : après la double désillusion de leurs rêves déçus de la veille, Zbyszek et Michel se confrontent – avec beaucoup d’abnégation – à leurs adversaires et, à travers eux, à l’arbitraire d’un monde adulte cynique et cruel, les mensonges de ces uniformes zélés symbolisant ceux d’un régime anti-démocratique à bout de souffle. Aux antipodes des gestes de génie de Boniek ou de Platini sur le rectangle vert… 

Christophe Chauville 


France, Pologne, 2016, 22 minutes.
Réalisation et scénario: Jérémie Laurent. Image : Marcin Laskawiec. Montage : Constance Alexandre. Son : Anna Rok, Vincent Bordelais et Simon Apostolou. Musique originale : Benjamin Laurent. Interprétation : Téodor Giguere, Olaf Marchwicki, Marta Chyczewska, Delfina Wilkońska, Wojciech Czerwiński et Mariusz Ochciński. Production : Le G.R.E.C et Jérémie Laurent.