Extrait
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God’s Daughter Dances

Byun Sung-bin

2020 - 25 minutes

Corée du Sud - Fiction

Production : Korean Film Council

synopsis

Une danseuse transgenre, Shin-mi, est appelée à s’inscrire à l’examen médical préalable au service militaire.

Byun Sung-bin

Né le 10 avril 1991, Byun Sung-bin a étudié la philosophie orientale et l’audiovisuel à l’université Sungkyunkwan, un établissement privé installé à la fois à Séoul et à Suwon.

God's Daughter Dances, en 2020, est son quatrième court métrage, après For the Sake of a Sick Spirit (2014), The Chicken of Wuzuh (2015) et Hands and Wings (2019).

Sélectionné et récompensé dans de nombreux festivals internationaux (parmi lesquels Clermont-Ferrand, où il reçoit le Prix du public de la compétition internationale en 2021), le film trouve un prolongement dans un premier long métrage, Peafowl (2022), dont Choi Hae-jun et Kim Woo-kyum sont à nouveau les interprètes.

Critique

Les normes ont cette particularité d’être si installées que l’on pourrait douter de leur existence. Les personnes homosexuelles et transgenres, démises par la norme de la possibilité d’aborder leur désir comme transport légitime et leur engagement mutuel comme évidente forme d’amour, souhaitent obtenir le droit d’être, simplement. Que signifie le droit d’être ? La possibilité d’être différent comme horizon démocratique, contre les tendances réactionnaires considérant les limites normatives comme une immuable chasse gardée. Si on continue d’objecter aux personnes dites “minoritaires” leur volonté d’obtenir des “privilèges”, il faudrait sans doute renverser la proposition : qui sont les personnes véritablement privilégiées dans un contexte où continuent de régner les codes hétérosexuels et hétéronormés ? Certains films se donnent pour vocation de provoquer l’apparition de ces normes, d’imaginer des parcours de vie qui de fait échappent à la normalisation, et de dessiner les stratégies pour tenter de retirer aux normes leur puissance destructrice. Le film coréen God’s Daughter Dances de Byun Sung-bin s’y emploie avec force et élégance.

Shin Min-ho, qui se présente sous le nom de Shin-mi, est une femme née dans le corps d’un homme. Elle est danseuse dans un club de Séoul. Ses papiers d’identité mentionnent encore son identité biologique de naissance, alors qu’elle a déjà réalisé sa transition. De ce fait, Shin-mi doit se présenter à l’administration dans le cadre du service militaire obligatoire. God’s Daughter Dances se focalise sur ce moment particulier où la trajectoire de Shin-mi s’oppose à une administration bornée et soucieuse de la simple application de la loi. Shin-mi n’a rien contre le service militaire, elle veut cependant être considérée pour ce qu’elle est : une femme. Or un médecin qui doit évaluer son profil psychologique pense qu’il s’agit d’une simple posture, ou même d’une véritable imposture. Le médecin dit avoir été berné et ne veut plus se faire avoir. Le film parvient avec finesse à figurer le rapport de force qui s’instaure, à travers un récit qui engage l’action d’autres personnages (notamment d’un jeune médecin qui cache son homosexualité auprès de ses collègues), qu’ils soient dubitatifs ou compréhensifs. Placer un personnage transgenre flamboyant au sein d’un contexte protocolaire, médicalisé et hétéronormé, tel est donc la torsion narrative à la base de ce court métrage remarquable.

La puissance esthétique et politique de l’œuvre provient néanmoins de son rapport aux détails et au double sens impliqué par la mise en scène. Par exemple, dès la séquence introductive dans le club, Shin-mi se voit comparée à un félin, le tigre étant un animal sacré : ses ongles longs et pointus, sa combinaison grise et noire et les gestes fauves de sa chorégraphie appuient la métaphorisation. C’est d’ailleurs un chat qui attire l’attention de la jeune femme avant qu’elle n’entre dans les bureaux de l’administration. Shin-mi lui parle comme si une continuité généalogique existait entre lui et elle : “Pourquoi tu es tout seul ? Je reviens. Ne te cache pas, d’accord ?” C’est moins une solidarité gratuite qui se joue ici que la mise en miroir d’une solitude, d’une marginalisation et d’un besoin de reconnaissance. Danser, tout autant, c’est tenter de panser les plaies d’un passé violent, mais c’est aussi se libérer des carcans normatifs, par le plaisir. Fonctionnant en boucle — à la chorégraphie du début répond la danse finale, le film opère un déplacement significatif de l’espace semi-privé (le club) vers l’espace public (la salle d’attente). Le normes morales se voient ainsi révélées à l’aune d’un geste public libérateur, retournant la dissimulation hypocrite en sincère affirmation de soi.

Mathieu Lericq

Réalisation et scénario : Byun Sung-bin. Image : Noh Da-hae. Montage : Lee Young-hoo. Son : Kim Min et Choi Ji-young. Musique originale : Case Peat. Interprétation : Choi Hae-jun, Kim Woo-kyum et Lim Ho-jun. Production : Korean Film Council.