Quelques secondes

Depuis quelques années, on parle de plus en plus du viol. On tente de le définir, de mettre des mots dessus. On compare la gravité, les responsabilités. Dans cette cohue de paroles, le premier court métrage de Nora El Hourch revient à la base : la douleur, le traumatisme. Les maux qui ne passent pas. Elle filme un groupe de jeunes filles vivant dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale à Paris. Toutes connaissent la violence, sous différentes formes ; et aucune ne fait de hiérarchie.

La réalisatrice apporte la pudeur qu’il manque souvent à ces débats. Même si c’est une fiction, les femmes à l’écran semblent simplement tolérer la présence de la caméra, qui se fait petite et discrète. Elle ne filme pas tout, voire pas du tout. Des écrans noirs et des couloirs vides permettent à la fois de préserver l’intimité des personnages et de laisser le spectateur respirer et réfléchir. Parce qu’il faut prendre son temps pour aborder le malheur. Il est long à s’exprimer et reste parfois silencieux. Il rend silencieux même, voire invisible. Le film présente une première fois une séquence où l’on discerne à peine Sam, jeune femme victime de viol qui voit son agresseur partout. Elle est là, mais on ne la voit pas.

Cependant, lorsque la séquence est montrée une seconde fois, de son point de vue cette fois, on ne peut pas s’empêcher de la voir et de constater que nous n’avions pas vraiment fait attention à elle précédemment. Parce que Sam ne vit plus tout à fait dans le présent, mais dans ces “quelques secondes” qui la détruisent. Pourtant, les autres femmes qui l’entourent la soutiennent et la poussent à aller mieux, à sortir et à s’amuser. Parce qu’il faut aussi mentionner la joie pour évoquer le malheur. Le rire, la vanne, l’illusion, la vie, tout pour repousser le néant. Bien que, malheureusement, cela ne soit pas toujours suffisant. Et qu’il arrive que quelques secondes l’emportent sur toute une vie.

Anne-Capucine Blot

Réalisation et scénario : Nora El Hourch. Image : Fabien Faure. Montage : Thibaut Blanchet. Son : Rémi Chanaud, Nicolas Provost et Vincent Cosson. Musique originale : Cléo Lanfranchi. Interprétation : Marie Tirmont, Charlotte Bartocci, Camille Lellouche, Maly Diallo, Charlotte-Victoire Legrain, Ali Marhyar et Guillaume Compiano. Production : Maja Films.