Extrait
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Voyage à Santarém

Laure Desmazières

2021 - 28 minutes

France - Fiction

Production : Haïku Films

synopsis

Julia Armand, prof en collège, nonchalante, toujours en retard, ne se voit pas faire de vieux os dans le métier. Aujourd’hui c’est la “Journée contre la violence” et Julia ne fait pas attention quand Ethan, 15 ans, tente de se confier à elle.

Laure Desmazières

Scénariste, réalisatrice et consultante en scénario formée entre 2006 et 2010 à la Fémis (après être passée par la prépa Ciné Sup à Nantes), Laure Desmazières travaille principalement pour le cinéma.

Elle a signé deux courts métrages :  Zaïna 46 (2018), qui a remporté le Prix du Syndicat français de la critique de cinéma au Festival du film court en plein air de Grenoble, et Voyage à Santarém, qui fut présenté en compétition nationale à Clermont-Ferrand et en panorama à Côté court, à Pantin, en 2022.

Elle a aussi été la coscénariste d'autres films courts largement diffusés, comme Fatiya de Marion Desseigne-Ravel (2018) ou le film d'animation Christopher at the Sea de Tom CJ Brown (2023).

Elle développe actuellement son projet de premier long métrage avec Haïku Films, finaliste au Prix Sopadin junior et intitulé pour l'heure La nuit au Majestic. et intervient ponctuellement pour plusieurs structures en tant que consultante : la Résidence du Festival de Cannes, la Scénaristerie, le G.R.E.C, le Moulin d'Andé, Sofilm de genre, etc.

Laure Desmazières fait partie du collectif de scénaristes Les Indélébiles.

Critique

Solitaire dans la ville, Ethan, quinze ans, semble en retrait, dans ses pensées. Il place une pièce de monnaie sur les rails du tram. Le tram passe, il récupère la pièce : “face”, effacée. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Est-ce un pile ou face qui le réconforte et l’encourage ? Ou une joie fugitive de voir comment les traces, parfois, s’estompent ? 

Avant même le départ, la préparation de celui-ci, sa musique ou ses surprises sont autant de rêveries propres à chaque voyageur. Voyage à Santarém de Laure Desmazières se situe dans cette attente. Santarém, c’est l’écart à la route imaginé par Julia, prof de français dont les idées ne manquent pas pour amener ses élèves vers plus de poésie, vers tout le champ des possibles et les plaisirs de la littérature. 

Mais l’ambition rêveuse se heurte vite à la réalité du quotidien. Depuis le lycée jusque dans les recoins de la vie privée de Julia, tous les rouages s’enrayent, rien ne se fait sans accroc. Non elle ne peut pas encore attendre pour réserver le village vacances à Santarém, et non elle ne va pas faire le cours prévu sur Voltaire. Aujourd’hui, c’est la journée contre les violences sexuelles, et il faut suivre les directives, le déroulé, les mots-clés imposés. 

À l’issue du cours, Ethan vient vers Julie. Il tente de lui parler, mais elle est happée par autre chose – son colocataire qui lui demande de bouger, son portable, un stylo qui fuit. Et, malgré leur complicité naissante et la main tendue d’Ethan, subtilement préoccupé par les traces – comment les effacer ? –, Julie passe à côté. 

Par de subtils cadrages à peine trop serrés, à travers l’espace un peu trop étriqué ou enfumé, une distance légèrement inappropriée, on ressent au fil des plans une sensation d’étouffement. La mise en scène glisse du naturalisme vers l’impressionnisme, se détache peu à peu du réel pour s’atteler au sentiment malaisant qui persiste au fil des heures et de la soirée. 

Dans la nuit embrumée et comme dans une introspection éclairée, Julie tâtonne et se confronte à son angoisse, ou à son intuition. L’émotion pesante se matérialise dans une sidérante scène d’hallucination chorégraphiée. Julie navigue au milieu des danseurs, presque figés, aux mouvements saccadés, minimalistes mais évocateurs, avant de pouvoir refaire surface, se ressaisir, aller vers Ethan et reprendre pied. 

Inspiré d’une histoire personnelle, le film dresse un portrait complexe et explore avec délicatesse le motif du métier d’enseignant et de la relation à l’autre, mais aussi celui de l’adolescence blessée. Voyage à Santarém questionne aussi sur les traces de la violence. Sur les corps et les esprits. Des traces que chacun porte et voudrait pouvoir effacer. Des traces souvent imperceptibles, mais qui persistent dans l’intimité et ne semblent pouvoir s’estomper qu’une fois la confiance retrouvée.

Marie-Anne Campos

Article paru dans Bref n°128, 2023.

Réalisation : Laure Desmazières. Scénario : Laure Desmazières et Rose Philippon. Image : Paloma Pineda. Montage : Clémence Carré. Son : Guilhem Domercq, Philippe Deschamps et Niels Barletta. Musique originale : Alexis Paul. Interprétation : Julia Perazzini, Noé Wodecki, Mathilde Roehrich, Eva Lallier et Julie Badoc. Production : Haïku Films.