Extrait
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L’esquisse

Tomas Cali

2023 - 9 minutes

France, Portugal - Animation

Production : Don Quichotte Films

synopsis

J’apprends à parler français et de cette manière à dessiner mes alentours. À Paris, dans un atelier d’artiste, je rencontre Linda Demorrir, une modèle vivante. Comme moi, elle est transgenre et immigrée. Quand elle parle, bouge, voit le monde, je suis happé. En faisant son ébauche, c’est moi aussi que j’apprends à dessiner dans ce nouveau pays.

Tomas Cali

Né à São Paulo en 1992, Tomas Cali est un réalisateur et monteur brésilien.

Tailor (2017), son premier court métrage, produit dans son pays d'origine, a été sélectionné dans plus de 140 festivals, parmi lesquels ceux de Tampere, Uppsala, Dok Leipzig, Anima Mundi, Curta Cinema, etc. Il a obtenu le Prix du public à Queer Lisboa.

Plus récemment, Tomas Cali a monté le court métrage Gare aux coquins de Jean Costa, sélectionné à Clermont-Ferrand et à Premiers Plans d’Angers, avant d'être diffusé sur Brefcinema, puis Après le rouge de Marie Sizorn, récompensé du Prix du jury au Poitiers Film Festival 2022.

La question de la marginalité est le fil d‘Ariane de son travail, qui se reflète dans son court métrage L'esquisse. Celui-ci a connu sa première au Champs-Élysées Film Festival 2023.

Critique

De l’article défini qui introduit le titre émane le savoureux sentiment d’évoquer une chose déjà connue, déjà cernée, peut-être même adoptée. Du terme d’“esquisse” s’échappe l’idée d’une première forme, de quelque chose en passe de devenir et dont l’essentielle éphémérité trace la voie à suivre. “L’esquisse”, donc, nous apparaît en traits griffonnés sur un écran noir parsemé de taches blanches comme autant de potentielles étoiles perçant la nuit, comme autant d’espoirs persistants quand tout se bouscule. L’esquisse, c’est l’époque choisie par Tomas Cali pour ouvrir son deuxième court métrage en tant que réalisateur : l’époque des recommencements, de son arrivée en France, concomitante à son envie de changer de genre. À l’écran, les traits de la petite silhouette qui nous est apparue se déchirent, on devine la douleur engendrée. Dans une économie de mots oscillant judicieusement entre le portugais et le français, Tomas Cali nous confie ainsi toute la difficulté de corréler la découverte d’un pays et la redécouverte de son corps, la rigueur exigée par l’apprentissage d’une nouvelle langue et le temps d’adaptation au changement de sa propre voix, de sa propre peau.

J’étais tellement perdu, que j’ai décidé d’apprendre à dessiner…”. Le dessin qui deviendra refuge. “Et c’est comme ça que j’ai rencontré Linda”. Le refuge qui se fera rencontre. L’écran noir crayonné s’estompe, nous quittons l’animation pour pénétrer dans la temporalité suspendue d’un atelier de dessin. Les mains croquent, tracent, repassent, effacent. Immortalisent. Au centre, Linda, modèle vivant, elle aussi immigrée du Brésil, elle aussi transgenre. Des parties de son corps sont saisies en mosaïque ; la caméra est pour l’écran de cinéma ce que le fusain est à la feuille de Canson. De sorte que fleurit ici une forme hybride d’un film à deux médiums, garante de toute sa poésie, de toute sa beauté. La pratique du dessin y est complétée ou questionnée par le regard cinématographique ; en même temps qu’elle enrichit et élargit le septième art de sa pure subjectivité.

Les postures de Linda se retrouvent autant sur le papier canson – capturé en inserts – qu’au centre du cadre – investissant tout l’espace. Pendant que les gribouillis blancs qui composent encore à ce stade la silhouette de Tomas s’insèrent là, sur une chaise de l’atelier, et s’appliquent à les dessiner. C’est précisément dans l’écho de ces deux supports que se niche le parallèle entre les protagonistes, c’est précisément dans cette mise en abyme que s’éploie leur touchante rencontre. Leurs portraits sont des reflets qui ne se disent pas comme tels, c’est un ancien douloureux rapport au corps, c’est le regard des autres qui oppresse, c’est l’épineuse insertion dans une nouvelle vie. Mais c’est aussi, à terme, la force suffisante pour étouffer une souffrance, la découverte d’un refuge, d’un sens à tout cela, d’une sorte d’équilibre : Tomas dessine et Linda est dessinée. Le mélange dessin-prises de vue réelles déploie une profonde délicatesse ; il enrobe leurs échanges, les nimbe d’une pudeur, les plonge dans l’intime. Le temps s’arrête de passer, nous sommes effacés, et c’est mieux ainsi.

L’esquisse s’affiche comme le prolongement d’une libération, comme un remerciement, un hommage. Et dans une poétique symbiose graphique qui file la métaphore, Tomas Cali finit par nous livrer l’essentiel. Nous révéler que son esquisse n’est plus.

Lucile Gautier

Réalisation et scénario : Tomas Cali. Image : Victor Zébo. Montage : Jean Costa et Tomas Cali. Son : Armin Reiland, Flavia Cordey, Thomas Fourel et Vincent Barcelo. Musique originale : Navalha Carrera. Voix : Linda Demorrir et Thomas Cali. Production : Don Quichotte Films.