Festivals 30/09/2019

Une édition 2019 (encore plus) inclusive pour le FCDEP

La 21e édition du Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris aura lieu du 2 au 7 octobre pour ce qui est de ses événements dits “périphériques” et du 8 au 13 pour le noyau de ses séances, au Grand Action. Laurence Rebouillon, qui en est l’une des programmatrices en plus d’être cinéaste, nous en fait une présentation détaillée.

La 21édition du Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris (FCDEP), organisée par le Collectif Jeune Cinéma (CJC), structure de distribution et de diffusion des pratiques expérimentales de l’image et du film, nous invite cette année à repenser l’histoire du cinéma expérimental au prisme du genre et du féminisme. Il sera privilégié une approche de l’expérimentation visuelle et sonore où le rapport au genre est exploré exclusivement par des œuvres de cinéastes et d’artistes identifiées femmes et trans. En cela, l’hypothèse de l’égalité des représentations, où le regard masculin hétérosexuel n’est plus l’unique norme, nous est apparue tout à fait excitante.

Loin de toute prétention à l’exhaustivité, la thématique “Cinéastes femmes, féministes, queer !” portée collectivement par les membres de What’s Your Flavor (un appel à films expérimentaux LGBTIQ actuels, qui s’élabore depuis cinq ans au sein du CJC) propose, à travers quinze séances de “Focus”, tant historiques que contemporaines, de mettre en avant et révéler des talents pour certains confidentiels, ou pour le moins jamais assez visibles. Nous verrons dans ces programmations que les corps ont une place centrale, qu’ils soient marginaux, en résistance, sexuels, en transition, monstrueux ou fabuleux, ils sont pour nous indissociables de la pensée et du geste qui produit l’œuvre.

 

 

 

 

 

À gauche : Reel 40: Visiting Grandmother. My Insanity Wyoming d'Anne-Charlotte Robertson (Focus n°2 : Mauvais génies)
À droite : Venus de Hinni Huttunen (Focus n°9 : Finlande).

“Dans les Seventies, mon travail s’est concentré sur le corps et les lesbiennes. Lesbienne parce que je le suis, et le corps parce qu’il y a tellement d’aspects de la construction féminine qui n’ont pas été traité… ” (Barbara Hammer). 

Le cinéma expérimental a été un territoire d’émergence créatrice de minorités politiques reléguées dans les marges : tant pour les femmes que pour les personnes LGBTIQ, et à l’intersection des deux pour le cinéma lesbien, tel que le montre Caroline Berler dans son récent documentaire Dykes, Camera, Action ! (2018). Toutefois, le milieu du cinéma expérimental, marginalisé lui aussi par le cinéma industriel, n’a pas pour autant été exemplaire, au travers d’attitudes misogynes et homophobes qui étaient et sont toujours présentes. Aussi face à ce sentiment d’exclusion et d’invisibilité, ces minorités n’ont pas attendu qu’on leur donne l’autorisation ou une quelconque validation pour prendre caméra et micro comme outils de production et de diffusion, à l’exemple des pionnières, Chantal Akeman, Barbara Hammer, Agnès Varda, Maria Klonaris ou Claudine Eizykman, réalisatrices disparues auxquelles nous rendons hommage lors de notre soirée d’ouverture au Grand Action (le mardi 8 octobre à 19h).

Autre pionnière de la vidéo à laquelle nous rendons hommage, Carole Roussopoulos crée en 1982 le Centre audiovisuel Simone-de-Beauvoir avec Delphine Seyrig et Ioana Wieder. Nicole Fernandez Ferrer, déléguée générale de l’actuel Centre, nous propose dans la séance Focus n°11, Communautés (le samedi 12 octobre au Grand Action à 19h), trois films réalisés entre les années 1970 et 1980 par quatre réalisatrices féministes qui bousculent les questions des sexualités, des mères célibataires, de la maternité non choisie, des communautés de vie entre femmes, des luttes pour les droits LGBTIQ.

 

 

 

 

 

 


À gauche : Virgen Barbie de María Galindo / collectif Mujeres Creando (Focus n°3 : Latinxs).
À droite : Adieu, Corpus ! d'Alexander Isaenko (Ukraine), en compétition internationale.

Les séances Focus, une diversité de propositions au-delà de la France et des États-Unis

L’édition de cette année se propose de plus d’élargir notre regard en dehors des géographies qui nous sont habituelles. En Finlande, avec des films et des vidéos des années 1980 à nos jours, de la séance Focus n°9 Relations de pouvoir (vendredi 11 octobre au Grand Action à 20h), réalisés par des artistes finlandaises travaillant des questions post-coloniales, de genre, ou encore du female gaze. En Serbie, où jusque récemment, toutes les publications et historiques de l’Academic Film Center (AFC), fondé à Belgrade en 1976, ont mis en avant les artistes hommes, rendant invisible du même coup les femmes réalisatrices de l’AFC. 

De plus, cet élargissement géographique est ouvert à des femmes et des féminismes non-européens et non-blancs, aux prises avec une marginalisation plus grande encore au sein du cinéma expérimental. Les films présentés dans la séance Focus n°3 Latinxs : à rebrousse-poi(vendredi 4 octobre au DOC à 20h), montrent une pluralité de lieux et d’expériences de femmes post-tiers mondistes. Ils contribuent à une topographie féministe contemporaine en Amérique latine, qui pose de nouveaux enjeux d’identité, de déplacements, de terre et de territoire. De même, la séance Focus n°13, Flux de mères, reflux de filles (dimanche 13 octobre au Grand Action à 16h30), constitue un aperçu des cinéastes taïwanaises de cette décennie. Il reflète aussi les reformulations de l’identité de ce pays, comme un être en devenir, mouvant et flottant. 

 

 

 

 

 

 

À gauche : Marie Losier en tournage de Hermaphrodite (séance jeune public).
À droite : Pinocher Porn d'Ellen Canton (Focus n°1 : Centre Pompidou)

La fête !

Mettons aussi l’accent sur l’atelier organisé par la Poudrière, collectif de femmes cinéastes de l’Etna (atelier et laboratoire indépendant à Montreuil) qui propose un atelier du 5 au 11 octobre où chacun·e tire au sort un extrait sonore de films troublés par la question du genre et tourne 3 minutes d’images en Super 8 – projetées lors de notre soirée festive au Shakirail le samedi 12 octobre, à l’issue de la séance Focus n°12 Spice or Riot grrls (à vos classiques, camarades !).

Les séances jeune public

Afin de familiariser et d’éveiller les plus jeunes à une pratique libre et différente du cinéma, le pôle transmission du CJC programme une séance titrée Tu ne pourrais pas dire qui je suis pour les 6-10 ans. L’inventivité et le changement d’identité sont également à l’œuvre dans cette séance, où l’on pourra voir entre autres les films de Marie Losier. 

Par ailleurs, depuis cinq ans nous mettons à l’honneur le geste créateur des jeunes de moins de quinze ans lors d’un programme réalisé à partir de notre appel à films dédié, façonné cette année par des collégiens d’Issy-les-Moulineaux qui présenteront la séance, le samedi 12 octobre au Grand Action à 14h30.

 

 

 

 

 

 

À gauche : La traversée d'Arcade Assogba (Bénin), en compétition internationale.
À droite : Postdigital Flipbook  de Pablo-Martín Córdoba (France), en compétition internationale.

La compétition internationale

Enfin, outre les focus thématiques, le festival est composé d’une compétition internationale. Depuis le printemps dernier, nous avons reçu plus de 1 500 films produits entre 2018 et 2019. Parmi ceux-ci, le comité de programmation composé de sept membres du collectif, a retenu une sélection de 43 œuvres de courtes et de moyennes durées, issues de 33 pays, réparties en 6 séances compétitives. Une particularité de notre festival est que la délibération du jury soit publique. Cinéastes sélectionné·e·s ou non, spectateurs et spectatrices peuvent ainsi participer au débat en prenant la parole, lors de cette rencontre multilingue avec les membres du jury international qui nous viennent d’Allemagne, de Serbie, de France et des États-Unis. Les critiques des films expérimentaux sont rares et cette délibération est l’occasion de parler des films, d’argumenter, de défendre des points de vue sur le cinéma, de distinguer tel film plutôt que tel autre, telle démarche, quelles pratiques, quels partis pris esthétiques…

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Transparent, the World is de Yuri Muraoka (Japon), en compétition internationale.

Voilà, mais nous n’avons pas tout dit. Ce n’est qu’un aperçu des évènements périphériques, des projections au Cinéma Grand Action, des performances, ciné-concert et atelier du 2 au 18 octobre 2019. Le 21Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris - Cinéastes femmes, féministes, queer !  C’est une invitation à l’oblique, à l’exclamation ! aux points envolés, au désordre et à la bonne humeur en somme. Bienvenue à tou·te·s !

Laurence Rebouillon
 

À lire aussi :

- La 20e édition du FCDEP, par Boris Monneau.

- Sur un film court de Marie Losier : Bim, bam, boom, las luchas morenas.

Photo de bandeau : Color Of Love de Peggy Ahwesh (Focus n°8 : MUFF).