Extrait
Partager sur facebook Partager sur twitter

Chet’s Romance

Bertrand Fèvre

1988 - 10 minutes

France - Documentaire

Production : Locus Solus

synopsis

Le film raconte l’histoire d’un faisceau de lumière qui tombe d’une note de musique. C’est aussi un hommage au musicien Chet Baker... C’est la musique d’une légende, le portrait d’une romance.

Bertrand Fèvre

Bertrand Fèvre est photographe et réalisateur. Après des débuts professionnels dans le milieu de la mode entre Paris et New-York, il a suivi des études de cinéma au CLCF (Conservatoire libre du cinéma français), à Paris, où il est né en 1957.

Il a fait ses armes dans les années 1980 comme assistant-réalisateur sur des longs métrages (Avé Maria de Jacques Richard, Bras de fer de Gérard Vergez, Le grand bleu de Luc Besson) et des films publicitaires avant de se lancer dans la réalisation.

En 1988, son court métrage Chet's Romance a été sélectionné au Festival de Cannes, avant de recevroir l'année suivante le César du meilleur court métrage documentaire.

Il a alors également réalisé quelques vidéoclips, dont ceux du Grand sommeil d'Étienne Daho et de Precious Thing de Ray Charles et Dee Dee Bridgewater. Fils de Georges Fèvre, qui fut une “pointure” dans le secteur du tirage argentique noir et blanc, il continue lui-même de pratiquer cette discipline et tire le plus souvent ses propres images, ayant grandi dans l'univers de la “photographie humaniste” incarnée par Cartier-Bresson, Doisneau ou Ronis, etc.

Il a signé plusieurs autres documentaires autour d'univers liés à la musique, à Cuba, en Colombie ou à Los Angeles, entre la fin des années 1990 et 2010.

Il est installé à Arles depuis 2006.

Critique

Le 25 novembre 1987, le photographe et réalisateur Bertrand Fèvre donne rendez-vous à Chet Baker au Clap’s Studio, à Paris, pour mettre en scène ce qui sera la dernière prestation filmée du trompettiste-chanteur américain. Il décèdera quelque mois plus tard, le 13 mai 1988, à l’âge de cinquante-huit ans, défenestré d’un hôtel à Amsterdam.

Les conditions de tournage de ce documentaire-fiction sont radicales et minimalistes, en raison d’un budget serré et de la santé fragile de l’artiste : le réalisateur dispose d’un seul jour de tournage, dans un lieu unique, avec deux caméras argentiques et une équipe réduite pour filmer Chet Baker interprétant le standard de Sinatra I’m a Fool to Want You

Malgré l’urgence et la précarité du projet, Bertrand Fèvre ambitionne la réalisation d’un film de cinéma et non d’un simple clip. Il s’inspire du film d’Henri-Georges Clouzot Le mystère Picasso (1955), tourné lui aussi en studio en une journée, et qui parvient pourtant à sublimer le geste du peintre et suivre le génie à l’œuvre. Le dispositif artificiel de Chet’s Romance n’empêche en rien le surgissement du réel, recherché par Fèvre qui souhaite réaliser “la captation la plus authentique possible de ce qu’était Chet et sa musique” (1). Une démarche diamétralement opposée à celle d’un autre photographe-réalisateur, l’Américain Bruce Weber, qui réalisa dans la foulée de Chet’s Romance le documentaire Let’s Get Lost globalement décrié par la critique musicale et cinéma en raison d’un regard par trop appuyé, voire inquisiteur, sur la vie privée du musicien, ses addictions et sa vie sentimentale tumultueuse.

En filmant l’avant et l’après de la prestation du musicien et en ajoutant en off des extraits d’une entrevue, Bertrand Fèvre crée une mise en abîme cinématographique subtile, magnifiée par l’image noir et blanc, une lumière très travaillée, le format cinémascope et des mouvements de caméra qui semblent vouloir épouser les circonvolutions des fumées de cigarettes de Baker. L’harmonie entre cinéma et musique est évidente : quel meilleur écrin que le film noir pour un portrait, tout en mélancolie, du “James Dean du jazz” ? C’est cette “poésie crépusculairedu trompettiste que le réalisateur souhaitait révéler et respecter à travers ce film :On y voit un musicien qui arrive sur scène, se prépare, s’assoit et improvise sur un standard de jazz légendaire devant mes deux caméras, sans rien faire d’autre que livrer sa vérité à travers sa musique. La vérité du dispositif sert la vérité de Chet, et sa propre vérité nourrit celle de mon film. C’est du donnant-donnant. Son émotion est réelle, palpable, il y a une sincérité bouleversante dans sa façon de se livrer à la musique, face au regard des caméras. Il n’est pas là pour faire le beau, pour “faire croire que”. Cette mise à nu est au cœur du film.” (1). 

Chet’s Romance, tourné à l’économie, sera sélectionné au Festival de Cannes en 1988 et obtiendra le César du meilleur documentaire la même année. Aujourd’hui restauré, ce classique du cinéma entame une nouvelle vie, offrant à jamais le visage, la voix et la musique d’un Chet Baker immortel :

I’m a fool to want you

Pity me, I need you

I know it’s wrong, it must be wront

But right or wrong I can’t get along

Without you.

Fabrice Marquat

1. Extrait d’un entretien avec Bertrand Fèvre dans Jazz Magazine n°726, avril 2020.

Réalisation et scénario : Bertrand Fèvre. Image : Serge Godet et Jean-Claude Aumont. Montage : Charlotte Fauvel. Son : Pierre Befve, Henri-Jean Boizard et Jean-François Auger. Interprétation : Chet Baker, Alain Jean-Marie, Ricardo Del Fra et George Brown. Production : Locus Solus.