Cahier critique 05/12/2018

"Bim, bam, boom, las luchas morenas" de Marie Losier

La lutte des femmes… sous un autre angle !

Il faut parfois croiser des œuvres comme celle-ci, pour que nos yeux, fatigués par tant de documentaires plus ou moins intrusifs et aux regards interchangeables, soient d’un coup enchantés par la vivacité bigarrée de la caméra de Marie Losier. Celle-ci est loin d’être une inconnue dans le milieu de l’art contemporain – le MoMa de New York lui a consacré une rétrospective début novembre 2018 –, mais on la croise de plus en plus – et c’est tant mieux – dans les festivals de cinéma.

Bim, bam, boom, las luchas Morenas se donne explicitement comme le fruit d’une complicité qui s’affiche joyeuse entre les trois sœurs Moreno et la réalisatrice. Il suffit d’un tournoiement coloré de plans courts – on songe au fameux Notes on the Circus, de Jonas Mekas, 1966 –, de quelques confidences, pour nous faire partager la vie de Rossy, Esther et Cynthia Moreno, du sport qu’elle pratique, la lucha libre, ce spectaculaire catch mexicain, et de la culture populaire dans laquelle il s’inscrit.

On a utilisé le mot “documentaire”. Heureusement, la palette de ce mode d’expression est assez vaste pour accueillir un portrait comme Bim, bam, boom, las luchas Morenas qu’on pourrait tout autant qualifier de poème en prose ou d’essai plastique et dans lequel les protagonistes jouent leur propre rôle. Quand elles enchaînent des prises sur un ring, l’espace qui les entoure est vide. Les bruits de spectateurs qu’on perçoit ne sont là que pour suggérer l’ambiance des matchs, pas pour faire illusion. Elles se livrent à des démonstrations, déliées de tout danger et de toute compétition.

Il n’y a pas, d’un côté, une réalisatrice qui filme en témoin, et de l’autre des femmes qui vivent en faisant mine de ne pas être regardées. Le geste du film relève d’un partage, d’une connivence. La caméra de Marie Losier est tout sauf impassible et les trois femmes se donnent en spectacle, jouent devant elle en toute conscience, témoignant des liens familiaux qui les unissent, du bonheur pour Cynthia d’avoir un enfant, de la nécessité de s’entraîner, du plaisir de jouer, de chahuter comme seules des sœurs peuvent le faire.

L’enfance n’est jamais très loin ; le film s’achève, pourquoi pas, sur une bataille de polochon. Hommage à Zéro de conduite ? Le bonheur du jeu et le goût de l’arbitraire priment sur toute volonté de sens. Si la luchaest libre, le film de Marie Losier l’est tout autant.

Jacques Kermabon

Réalisation et scénario : Marie Losier. Montage : Marie Losier et Valérie Massadian. Son : Clément Chassaing. Interprétation : Cynthia, Esther et Rossy Moreno. Production : CPH:DOX et Cine Tonala (Danemark/Mexique).
Distribution : Collectif Jeune Cinéma (CJC).