Cahier critique 01/12/2016

"Un éléphant me regarde" de Frank Beauvais

Une variation inattendue, insolite et tendre, autour de l’éternel “Boy Meets Girl”, par-delà les générations.

Boy meets girl. Cette fois, elle a le double de son âge. Et cette fois, le récit s’étalant sur moins de vingt-quatre heures, l’amour n’aura pas le temps d’infuser. Ce qui se jouera entre Magda et Vincent n’en sera pas moins profondément touchant, suspendu à des possibles que le cinéaste ne fera qu’effleurer, à peine suggérer.

L’espace d’une nuit, donc, Vincent (Sébastien Guillier, massif et fragile à la fois), pour rendre service à une copine, héberge Magda (Claire Magnin, membre originel du Splendid) qui a raté son train. L’espace d’une nuit, ils vont se découvrir. Trame classique dont Frank Beauvais, admirablement secondé par ses comédiens, déjoue les écueils et les clichés. Un exemple : lorsque Vincent emmène Magda, à sa demande, à une soirée “open mic”, c’est sous le regard bienveillant de celle-ci qu’il interprète son morceau aux relents cold wave, le film se détournant de l’e et humoristique facile et prenant acte (cela paraît anecdotique, mais c’est important) que les sexagénaires d’aujourd’hui n’avaient pas plus de trente ans quand Joy Division sortait ses albums. Car si la musique n’est plus, comme avant chez Beauvais, au cœur du récit, elle n’en demeure pas moins omniprésente, ne cessant de créer du lien entre les personnages, de les rapprocher (avec cette scène où l’on met un disque, cette autre où l’on danse, d’autres où on l’écoute, où on s’écoute, tout simplement).

Il s’agit, nous l’avons dit, d’une rencontre éphémère, de celles qui souvent produisent les plus belles histoires. Rencontre sans lendemain, comme l’était celle entre Henry, musicien voyageur, et Cécile, mère célibataire, dans La guitare de diamants (2009). Dans les deux films, amitié, attirance se cristallisent autour de la musique. Dans l’un, c’est cette chanson qu’Henry et Cécile interpréteront ensemble à la fête du village ; dans l’autre, c’est ce morceau que joue Vincent, en musicien amateur, et qui fait résonner en Magda l’écho de probables années de bohème.

On pourrait écrire que, là, la musique “suffit” (à rassembler) alors qu’elle était encore dans Compilation, 12 instants d’amour non partagé (2007) le subterfuge par lequel le cinéaste allait pouvoir filmer (soit emprisonner dans un cadre) l’objet de son désir. C’est cette évidence des sentiments, cette manière aussi d’inscrire le récit dans une réalité provinciale assumée jusque dans le dialogue, qui émeut, en regard notamment des questionnements torturés qu’un film comme Je flotterai sans envie (auto-portrait via les mots d’un autre, 2008) ressassait jusqu’à l’autodépréciation.

En 2016, la simplicité sied bien à Frank Beauvais. On aurait dû s’en douter dès La guitare de diamants, mais ce n’est pas, à la lumière de ses films précédents, la moindre des surprises.

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n°120.

Réalisation : Frank Beauvais. Scénario : Alex Vila et Frank Beauvais. Image : Roland Edzard. Montage : Thomas Marchand. Son : Philippe Grivel et Aline Huber. Interprétation : Claire Magnin, Sébastien Guillier et Michel Damien. Production : Les Films du Bélier.