Cahier critique 18/04/2018

“Pellis” de Yann Gozlan

Avec ses films à sensations fortes, Yann Gozlan joue depuis toujours avec nos nerfs. Découvrez “Pellis”, son premier court métrage d’angoisse, alors que sort au cinéma “Burn Out”, un thriller électrique.

Voilà une quinzaine d’années, Pellis fit son petit effet, la rareté des propositions de cinéma fantastique dans le champ du court métrage français ne faisant alors qu’appuyer sa modeste réussite. Dans la foulée d’un deuxième court ouvertement polanskien (Écho en 2006) et d’une proposition de survival en guise de premier long métrage (Captifs en 2010), Yann Gozlan continue aujourd’hui d’occuper discrètement le terrain du cinéma de genre – du thriller (Un homme idéal) au film d’action (Burn Out) – mais en ayant manifestement abandonné pour l’instant les troubles de la perception qui ouvraient habilement au fantastique dans ses deux premiers films.

Pellis s’inscrit pourtant à son entame dans le concret le plus prosaïque, faisant du corps et de ses dérèglements cutanés le terrain d’observation de l’héroïne, Hélène, jeune interne prometteuse en dernière année de dermatologie. Le cadre hospitalier, les considérations médicales renvoient évidemment au registre de l’horreur organique explorée par David Cronenberg dès les années 1970. Peu de temps avant, en 2002, Marina de Van réalisait le dérangeant Dans ma peau tandis que Grave était loin d’avoir encore germé dans l’esprit de Julia Ducournau. Pourtant, on comprend vite que ce sont les dérèglements mentaux, l’ambiguïté d’une obsession qui pourrait être folie, qui intéressent Yann Gozlan, bien plus que d’hypothétiques débordements gores dans lesquels il ne versera pas. On ne sait d’abord si les plaques apparaissant sur le corps d’Hélène sont les germes d’une réelle contamination ou les manifestations physiques d’une fragilité personnelle (qu’elle soit professionnelle ou sentimentale, le jeune cinéaste ouvre quelques pistes sans jamais trancher). L’inquiétude est diffuse, accroissant la vulnérabilité de l’héroïne. Il y a son mari, homme d’images (il est photographe), qui ne semble la voir (mal) qu’au filtre de son objectif ou de son désir et qui paraît même la délaisser, la rejetant dans la première séquence où il apparaît. Surtout, il y a ce patient âgé qui la fixe étrangement (provoquant le court-circuitage d’un simple champ/contrechamp en même temps que la réminiscence d’un plan traumatisant de L’esprit de Caïn de de Palma) et dont l’état semble repousser, pour les autorités médicales, les limites de la compréhension.

Comme dans Répulsion de Polanski (film auquel Écho se référera encore plus), le doute est le moteur d’un film dont le récit reste rivé à la subjectivité d’Hélène. Ce n’est que dans son épilogue adroit – quoique un rien prévisible – qu’un point de vue extérieur viendra relayer celui de l’héroïne, les personnages qu’elle finissait par tenir pour une altérité menaçante (son mari, le professeur interprété par Jean-Marie Winling) venant, à défaut du sien, dessiller notre regard sur son étrange pathologie. En bouclant si rationnellement son récit, Pellis perd sur le versant du pur fantastique ce qu’il gagne sur celui de la cohérence et de la brièveté. C’est sa force et aussi sa limite.

Stéphane Kahn

Réalisation et scénario : Yann Gozlan. Image : Yves Kohen. Son : Nicolas Bouvet et Mélissa Petitjean. Montage : Pauline Pallier-Valette. Musique : Guillaume Feyler. Interprétation : Aurélie Valat, Bernard Musson, Jean-Marie Winling, Bruno Todeschini et Félicité du Jeu. Production : Les Films au Long Cours.