Cahier critique 21/09/2021

“Conte de quartier” de Florence Miailhe

Sept personnages principaux vivent une journée mouvementée dans un quartier en rénovation situé au bord du fleuve. Ici, on se croise sans se voir, une poupée passe de mains en mains...

Les quelques images découvertes à l’occasion du “Gros plan” consacré à Florence Miailhe (Bref n°73) n’étaient pas trompeuses. Conte de quartier se confirme comme son travail visuellement le plus ambitieux. L’intrigue, maigre prétexte, ne tient qu’à un fil ténu, une déambulation sur le mode “marabout bout de ficelle” avec, en guise de Mac Guffin, une petite poupée qui se perd de main en main. La caméra baladeuse de Florence Miailhe ne reste pas à hauteur d’homme, elle embrasse et rêve un quartier, fait résonner l’âme composite d’un coin du treizième arrondissement de Paris en plein bouleversement où s’entrechoquent architectures récentes, palissades de chantiers, grues, vieux murs qu’on abat sous le regard d’affiches publicitaires à la sexualité agressive et devant lesquelles passe, indifférente, une population cosmopolite.

À l’image de cette mixité, l’animation entremêle plusieurs textures, fait se frotter différents effets de matière. La copie conforme d’éléments puisés dans la réalité (tel le panneau du chantier ou les affiches aux traits réalistes) cohabite avec des duplications numériques (les voitures) dans un univers plastique où dominent néanmoins la palette et la vibration picturale propres à Florence Miailhe.

Notre regard est moins dirigé que de coutume. L’image joue de différentes strates, restitue le fourmillement urbain en multipliant des détails difficiles à percevoir d’un seul tenant, détachant toutefois les personnages que nous suivons par leurs couleurs vives au milieu d’un peuple d’ombres.

Mais ce qui anime véritablement le film semble puiser à des sources plus profondes, à un souffle ancestral qui plane sur la cité, à une force animale prête à resurgir du fond de la brume ou des profondeurs de la Seine. Un ouvrier africain offre une fleur à une funambule, un tigre s’échappe de sa cage. Il suffit d’un rien pour que la graine à faits divers, comme sous l’effet de la propagation d’une onde mystérieuse ou d’une poudre de perlimpinpin, prenne des accents magiques.

Ce conte ne gagnerait rien à être raconté. Tout se joue dans l’agencement des couleurs et des sons, dans la fluidité jamais mécanique des déplacements, dans les métamorphoses qui disent si bien un baiser, la tendresse, une rue fleuve ou la providence du tigre.

Jacques Kermabon

Article paru dans Bref n°74, 2006. 

France, 2006, 15 minutes.
Réalisation : Florence Miailhe. Scénario : Marie Desplechin et Florence Miailhe. Image et animation : Florence Miailhe. Montage : Fabrice Gérardi. Son : Olivier Calvert, Anita Glodek, Lise Wedlock, Serge Boivin, Geoffrey Mitchell, Jean-Paul Vialard et Shelley Craig. Musique originale : Denis Colin. Production : Les Films de l'Arlequin.