Extrait
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Le soleil dort

Pablo Dury

2022 - 39 minutes

France - Fiction

Production : Petit Chaos

synopsis

Octave et Flora entretiennent depuis longtemps une relation amoureuse sur un jeu en ligne sans s’être jamais vus. Si Flora brûle de désir de rencontrer son amant virtuel, ce n’est pas le cas d’Octave, profondément complexé par une brûlure lui ravageant la moitié du visage. Lassée par la situation, Flora pose un ultimatum à Octave pour qu’ils se donnent enfin rendez-vous. Leur amour résistera-t-il à cette rencontre ?

Pablo Dury

Né en 1994 à Paris, Pablo Dury est scénariste et réalisateur. Pendant son cursus universitaire à la Sorbonne, dont il sort diplômé en réalisation cinématographique, il a co-fondé en 2013 Limagorium, une association qui favorise la jeune création cinématographique en accompagnant de jeunes cinéastes et technicien(ne)s.

Son premier film, Opium, un moyen métrage autoproduit, remporte le Grand Prix André S. Labarthe à Côté court en 2016 et son film suivant, Les amoureux (2018), est pour sa part sélectionné à Premiers plans, Brive et Côté court, entre autres.

Ses deux films les plus récents, Cœur brisé (2022) et Le soleil dort (2023), tous deux produits par Petit chaos, sont pré-sélectionnés aux César 2024.

Critique

Dès Opium (2016) et Les amoureux (2018), qui se déployaient sur des durées de moyen métrage, volutes mythologiques et récits immémoriaux s’invitaient au cœur de propositions aussi exigeantes que déconcertantes. Nourris d’imaginaire et frayant avec le conte, ces deux premiers films empruntaient sans peur une voie où histoires et temporalités s’entremêlaient, une approche où les figures, avouons-le, l’emportaient sur les personnages.

C’est dire comme, quelques années plus tard, Le soleil dort propulse Pablo Dury dans une autre dimension, tout en cultivant ce qui faisait la singularité de ses propositions liminaires.

Si l’on peut écrire qu’atmosphère et décor charpentaient ses premiers films, les affects sont en effet pour la première fois au cœur du Soleil dort, œuvre dont le sentiment amoureux constitue le classique carburant narratif. Jusqu’à jouer la carte du traditionnel boy meets girl et remiser l’originalité aux premiers pas des travaux d’étudiant ? Pas vraiment, non.

Fabriqué en parallèle de Cœur brisé (variation de 2022, également autour des mêmes personnages), Le soleil dort fait d’un rendez-vous amoureux non son horizon différé (Flora errait dans le parc de Cœur brisé sans y trouver un Octave fuyant), mais un point de départ pour un face-à-face nocturne : celui – à l’abri d’une forêt où le passage dans une autre dimension pourrait rappeler Twin Peaks – de deux personnages ne se connaissant que via leurs avatars numériques.

Cette manière d’envisager le décor dans son mystère (superbe photographie qui ne craint ni noir profond, ni zones d’ombre) et le sentiment dans toute sa candeur rapproche d’ailleurs de certains partis pris lynchiens, entre malaise et romantisme débridé. En barrant le visage d’Octave d’une brûlure le défigurant partiellement, le cinéaste revisite le cliché de la belle et la bête en lui ôtant tout ancrage social trop patent et en éludant le fait que cette laideur présumée puisse être un sujet pour Flora – peut-être est-elle même, tels les protagonistes du Crash de David Cronenberg (1996), attirée par cette blessure qu’elle effleure avant qu’Octave ne se dérobe.

Ainsi Dury réinvente-t-il en douceur la figure du “monstre”, si connotée au cinéma ou en littérature, pour l’emmener ailleurs, dans les revers d’un univers ultra-connecté (celui de Cœur brisé, lézardé de messages instantanés) où le culte de l’apparence ne cesse de le disputer aux artifices de mises en scène égotiques. C’est dans ce mélange entre contemporanéité extrême et archaïsme légendaire que Le soleil dort trouve un espace narratif inédit : là où une malédiction ancestrale vient transfigurer le prosaïsme d’une blessure, là où les amoureux maudits peuvent s’inventer un monde plus beau, moins cruel, quelque part au bout d’une ligne de bus, quelque part au-delà des pixels des ordinateurs.

Stéphane Kahn

Article à paraître dans Bref n°129, 2024.

Réalisation : Pablo Dury. Scénario : Pablo Dury et Antoine du Jeu. Image : Alexandre Cambron. Montage : Luc Seugé. Son : Thomas Van Pottelberge, Grégoire Chauvot et Mikhael Kurc. Musique originale : Rallye. Interprétation : Alice Mazodier, Thomas Ducasse, David Ducasse, Jeanne Ros et Théo Hoch. Production : Petit Chaos.