Extrait
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backflip

Nikita Diakur

2022 - 12 minutes

Allemagne, France - Expérimental

Production : Miyu Productions

synopsis

Tenter un salto arrière n’est pas très sûr. On peut se rompre le cou, atterrir sur la tête, mal se réceptionner sur les poignets. C’est pourquoi je laisse mon avatar apprendre le truc. Il s’entraîne sur un processeur 6-core, avec l’aide d’un simulateur.

Nikita Diakur

Nikita Diakur est un cinéaste d'origine russe, né à Moscou et basé à Mayence, en Allemagne. Il a étudié l'animation au Royal College of Art, à Londres, où il a confectionné le film de fin d'études Fly on the Window, qui a été présenté dans de grands festivals internationaux comme Annecy, Édimbourg ou Zagreb.

Il a travaillé ensuite sur des histoires liées à Internet et enchaîné plusieurs courts métrages animés par un processus de “simulation informatique”. Ugly, Fest et backflip se sont ainsi succédés entre 2017 et 2022 avec un succès jamais démenti dans une multitude de festivals à travers le monde (Annecy, Aspen, Clermond-Ferrand, IndieLisboa, Ottawa, Silhouette à Paris, Tallin, Toronto, Uppsala, Zagreb…)

Critique

Nikita Diakur aime tester (et repousser) les limites de l’animation 3D, notamment en utilisant la part d’erreur et d’imprévu présente dans ses simulations par ordinateur, ce qui donne l’esthétique particulière – en apparence “buguée” – de ses films précédents, Ugly et Fest. Avec backflip, il recourt à l’intelligence artificielle et au machine learning pour entraîner un avatar numérique de lui-même à réaliser un saut périlleux arrière.

De ce concept de départ relativement basique, le cinéaste tire un court métrage hilarant et profond à la fois, pensé comme une manière d’exorciser (et probablement d’apprivoiser aussi) deux de ses grandes peurs : celle de se faire mal (ce qui lui est arrivé lorsqu’il s’entraînait dans la réalité à faire un salto arrière) et celle liée aux progrès de l’intelligence artificielle.

Dès l’ouverture du film, on fait la connaissance de son alter ego numérique, créé à partir d’une photo de lui-même, et qui parle avec sa propre voix reconstituée virtuellement par l’IA. Sauf qu’évidemment, celui qui parle, ce n’est pas le personnage lui-même, mais le vrai Nikita, qui commente – de sa voix rendue dénuée d’intonation par la synthétisation, donc – les avancés, et plus généralement les échecs, de son avatar. 

Le contraste entre les remarques de l’auteur (“Je ne vois pas de progrès”, dit-il laconiquement après une succession de chutes plus pathétiques les unes que les autres de son double virtuel) et ce qui est montré à l’écran accentue irrémédiablement l’effet comique du film. C’est sans doute humain, on rit du malheur des autres, et il y a quelque chose d’irrésistible dans la maladresse absurde de ce Nikita numérique qui fait tout s’effondrer autour de lui dans ses tentatives jamais désespérées d’effectuer le saut parfait.

Néanmoins, et c’est en cela que le film permet une double lecture, on éprouve également une forme d’empathie grandissante pour le personnage, bien qu’on ait parfaitement conscience de sa qualité d’avatar constitué de pixels. Voir son corps désarticulé s’agiter piteusement sur le sol finit par nous faire souffrir, et c’est non sans une certaine admiration qu’on le voit se relever courageusement à chaque fois pour se lancer dans une nouvelle tentative que l’on pressent tout aussi vouée à l’échec. À un moment, l’avatar semble même incapable de tenir debout – épuisé par ses efforts ? – et tombe la tête la première dans les plantes. Bien sûr, c’est nous, en tant que spectateur, qui projetons ces différents sentiments sur lui (le courage, l’état d’épuisement, la douleur). Jusqu’à la joie (et le soulagement ?) qu’il éprouve lorsqu’au bout du 8340e essai, il exécute enfin le backflip parfait. 

Tout en s’amusant de notre rapport ambivalent aux machines, Nikita Diakur en explore toute la singularité, appelée à se complexifier encore avec l’avancée des nouvelles technologies. L’impression que ce qui nous ressemble physiquement est comme nous (d’ailleurs, la capacité d’apprentissage n’est-elle pas l’une des plus grandes qualités de l’être humain ?) est si forte qu’à la fin du film, il faut se faire violence pour se souvenir que ce n’est pas le vrai Nikita qui a accompli l’exploit, et que sa conclusion (“on est capable de plus que ce que l’on attend de nous-même”) est à prendre avec une certaine ironie : l’avatar n’attendait rien, et le réalisateur n’a pas exécuté lui-même de salto arrière. Il a, en revanche, parfaitement atteint son but en prenant à bras-le-corps, avec autant de malice que d’acuité, des questions ultra contemporaines liées au cinéma, à la technologie et, par extension, au futur de l’humanité.

Marie-Pauline Mollaret

Réalisation, scénario, animation, montage et voix : Nikita Diakur. Image : Nikita Diakur, Gerhard Funk et María Anaya Alderete. Son et musique originale : David Kamp. Production : Nikita Diakur et Miyu Productions.