Extrait
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All Inclusive

Corina Schwingurber Ilić

2018 - 10 minutes

Suisse - Documentaire

Production : freihändler Filmproduktion GmbH

synopsis

Comment ne pas tomber sous le charme de ce paquebot géant : ici pas le temps de s’ennuyer, divertissement assuré 24h/24. Pas étonnant que ces forteresses flottantes rencontrent toujours plus de succès.

Corina Schwingurber Ilić

Corina Schwingruber Ilić est née en Suisse alémanique en 1981. Diplômée de la section Beaux-Arts/Nouveaux Média à l'École de design et art de Bâle, elle a complété son cursus, entre 2006 et 2009, à l'Université d'art et design de Lucerne.

Elle a réalisé plusieurs courts métrages documentaires depuis 2013, présentés et parfois primés dans les festivals internationaux (Clermont-Ferrand, Locarno, etc.).

En 2018, elle signe All Inclusive, qui fait un vrai tour du monde festivalier (Aix-en-Provence, Chypre, Clermont-Ferrand, Durban, El Gouna, Melbourne, Québec, Sundance, Tallin, Tampere, Toronto, Uppsala, Venise, etc.). Il est aussi élu meilleur court métrage aux Prix du cinéma suisse en 2019.

Corina Schwingruber Ilić travaille alors avec son époux Nikola Ilić sur un long métrage, toujours sur le territoire du documentaire, Dida (2021). Elle revient au format court avec Been There, qui se consacre à nouveau aux vicissitudes du tourisme de masse et se voit récompensé au Festival de Locarno 2023.

 

 

Critique

Corina Schwingruber Ilić nous embarque sur le Harmony of the Seas, qui peut se targuer d’être le plus grand (et long) paquebot de croisière du monde, comptant – liste non exhaustive – parmi ses équipements non pas un, mais deux simulateurs de surf, pas moins de quatre piscines, une foule de toboggans (aquatiques ou non), une patinoire pour les amateurs de sports de glace (on ne sait jamais), une vingtaine de restaurants, mais aussi une tyrolienne ainsi qu’un “Bionic Bar”. De quoi faire la fierté des Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire, où il fut fabriqué, et le désespoir des détracteurs de cette forme de tourisme de masse sur mer.

La cinéaste ne s’embarrasse pas de description, de chiffres ou de commentaires : All Inclusive se fonde sur sa matière visuelle et sonore pour formuler sa satire. Plus ou moins larges, les cadres composés au cordeau saisissent des fragments de cette réalité aberrante, chaque plan donnant l’impression de remporter le sommet d’absurdité, avant le suivant. Ce sens de la composition graphique renvoie à des références photographiques, notamment à Andreas Gursky, inlassable observateur du monde globalisé et post-moderne. Ce dernier a d’ailleurs réalisé en 2020 une photographie monumentale, Cruise, vision stupéfiante d’un navire encore en construction, à l’échelle démesurée.

Corina Schwingruber Ilić joue avec cette même démesure, entre le gigantisme du bâtiment et l’échelle humaine, tandis que le traitement chromatique et la haute définition – et sans doute l’étalonnage – nous entraînent vers le sentiment d’une irréalité, d’une virtualisation du monde. Elle saisit l’injonction hystérique au bonheur et la perfection décrétée. Cette mise en fiction du réel ne se limite pas au seul décor, atteignant aussi les êtres. Certes, cette surfeuse sur le simulateur ne semble pas très convaincue en amorce du film, mais l’adhésion est de mise. Ce n’est plus la vie, mais la vie jouée, et tant pis si les catégories et les rôles manquent de nuance : aux petits garçons les habits de capitaines, aux fillettes ceux des princesses. Lorsqu’un robot se glisse entre deux plans où évoluent des humains, on ne saurait bien dire qui est le plus automatisé et assujetti dans ses agissements. Quoi qu’il en soit, tout décor a son envers, son antichambre. La fiction a en effet besoin de petites mains pour replacer les accessoires et ajuster le décor afin que le simulacre quotidien puisse bien avoir lieu. 

Ce rêve fabriqué constitue bien entendu un cauchemar éveillé, qui fait se déployer sous nos yeux un précipité de notre époque généreuse en expérience du monde abîmée et désespérante. Mais, aussi jouissive que glaçante, la charge satirique fait penser à un jalon ancien du cinéma de déconstruction du tourisme : Unsere Afrikareise, de Peter Kubelka (1966). Ce dernier fut engagé en 1961 pour réaliser un film de safari, il travaille ensuite à son détournement, et même retournement, avec les mêmes images, inquiétées par la bande sonore et musicale. Kubelka disait à propos de son film : “(...) toutes les émotions sont possibles en même temps : pendant que la bande son fait rire, l’image vous fait pleurer.”

Arnaud Hée

Réalisation, scénario et montage : Corina Schwingurber Ilić. Image : Nikola Ilić. Son : Robert Büchel. Musique originale : Heidi Happy. Production : Freihändler Filmproduktion GmbH.

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