Festivals 30/05/2018

Festival de Clermont-Ferrand 2018 : Critiques en herbe

Chaque année, le Festival de Clermont-Ferrand organise le concours de la jeune critique cinématographique. Le public scolaire est invité à voir des courts métrages, rencontrer les réalisateurs et écrire des critiques. Partenaire de l’événement, Brefcinema publie les trois meilleurs textes produits par les lycéens des sections cinéma sur “Chose mentale” de William Laboury, “Retour” de Pang-Chuan Huang et “Skuggdjur” de Jerry Carlsson.

Premier Prix attribué à Roxanne Tilmant Tatischeff pour La chose mentale, de William Laboury 

Le corps et l'esprit sont-ils indissociables ? Dans Chose mentale, William Laboury nous montre que parfois, lorsque le corps physique est entravé, seul l'esprit offre une échappatoire. Ema, qui est électrosensible, (sur)vit seule et recluse, traquant les zones blanches. Les murs d'une maison abandonnée et une multitude de pans de plastique forment une deuxième peau pour elle et la protège du monde extérieur, avec lequel Ema n'a aucun réel contact. C'est grâce à la vieille photo d'une forêt qu'elle expérimente les sorties hors de son enveloppe corporelle. Or, un jour, deux cambrioleurs s'introduisent dans son refuge et l'extirpent de ses voyages virtuels.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Breyer, troublante et percutante dans le rôle de cette adolescente, ouvre les portes d'un monde où, loin des ondes et des technologies barbares de notre siècle, l’immatériel permet de s'évader... et peut-être de mieux retrouver son corps, paradoxalement.

L’atmosphère dégagée par le film est claire et pure, ce qui illustre le terme, ici tant adulé de “zone blanche”. Cependant, cette blancheur est salie et cette transparence se dégrade à mesure que le monde de la jeune fille est découvert et que ses dernières protections face au monde extérieur tombent. Une mouche, que l'on imagine être une projection d'Ema, illustre la pollution, sonore ou non, à l'écran, et donne au personnage une dimension plus animale et sauvage, presque minimaliste.

Légèrement claustrophobe, ce court métrage traduit à travers une multitude de gros plans du visage et des mains d'Ema, l'importance des sens qui semblent, à première vue, étouffés sous le plastique et derrière les murs de son refuge, mais dont les limites ne sont en réalité que celles de l'imagination de la jeune fille. Ici, la virtualité n'est pas celle de la toile ou des jeux vidéo, c'est celle qu'offre l'esprit et qui, par un effort mental, transporte... car en effet, Ema voyage les yeux fermés.

William Laboury rend cependant dans les derniers plans du film sa place à l'humain avec l'apparition de Théo en contre-plongée au dessus d'Ema, dont les yeux s'ouvrent sur un monde qu'elle craint, mais qui l'intrigue pourtant. Enfin, au delà d'une invitation au voyage, on découvre celle de la recherche de l'équilibre, entre rêve et réalité, lumière et obscurité, silence et pollution...

Une dernière pensée alors... Chose mentale ne s'échapperait-il pas du film fantastique ? 

Roxanne Tilmant Tatischeff,
 Première CAV,
Lycée Mauriac, Clermont-Ferrand

 

 

Deuxième Prix attribué à Louise Gbonon pour Retour, de Pang-Chuan Huang

Un homme rentre chez lui, l'autre quitte son foyer. Pang-Chuan Huang nous plonge dans le récit de son voyage vers Taïwan, mais aussi celui dans sa mémoire familiale. On suit la traversée de deux continents à travers des photos successives en noir et blanc qui défilent comme les paysages derrière la fenêtre d'un train. Pang-Chuan Huang rentre chez lui pour passer le Nouvel an en famille.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un autre récit est raconté par une autre photo, une seule, filmée en couleur jaunâtre. C'est celui d'un homme qui part de chez lui pour fuir la famine. Au cœur de la guerre sino-japonaise, il connaît la misère, la peur, la violence. Il doit ensuite faire face à la guerre civile et réussit à se replier à Taïwan. Cet homme, c'est le grand-père de Pang-Chuan Huang. Taïwan est comme un lien solide entre les deux hommes, l'endroit où ils se retrouvent ou fondent leur famille.

Le réalisateur a su illustrer ce retour de façon originale et poétique. Il utilise une voix off, la sienne, dont le ton rappelle celui de nos grands-parents quand ils nous content leurs histoires. L'absence de silence, la musique toujours présente et le flou des images sont comme la mise en images d'un esprit qui essaie de se remémorer sa vie.

Dans ce court métrage s'entremêlent deux époques distinctes et liées. Des fils se tissent par les photos, par les couleurs, par les lieux, par la route. C'est le récit d'un retour chez soi qui se transforme en retour en arrière.

Louise Gbonon,
Terminale option facultative cinéma,
Lycée Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand.

 

Troisième Prix attribué à Sapho Malet pour Skuggdjur, de Jerry Carlsson

Un repas entre amis, ça vous tente ? Détrompez-vous, celui auquel Jerry Carlsson vous invite n'est pas si banal.

Marall, elle, n'a pas le choix : elle doit accompagner ses parents à un dîner où une ombre se glisse parmi les invités. Mais ce n'est pas la seule chose étrange qui va attirer l'attention de la fillette : les adultes aussi se comportent curieusement…

 

 

 

 

 

 


 

 

Quelques secondes suffisent pour être pris, enfermé dans cet appartement à l'ambiance angoissante et malaisante, aux côtés de Marall. Le réalisateur nous frustre, par son choix de limiter le cadrage à la hauteur du personnage principal et au point de vue subjectif, et crée ainsi toute la singularité du film. Il mène la danse et nous encadre, de la même manière que les maîtres de maison dirigent leurs invités tout au long de la soirée. Entre l'apéritif et le slow, tous les mouvements sont minutieusement chorégraphiés. Tous, sauf ceux d’une femme, qui se détache du groupe à plusieurs reprises, pour se faire finalement exclure.

S’intégrer, ou se différencier ? Jerry Carlsson dénonce l’absurdité de certains comportements sociaux, en contrastant les mouvements mécaniques et précis des adultes avec ceux, lents et approximatifs, de la fillette. Avec ce personnage candide, nous avons du recul sur les événements, qui nous font à la fois rire et frissonner. Après ces 22 minutes de huis clos, nous sommes tout de même soulagé de quitter cette maison pleine de mystères. Qui était cette ombre qui déambulait dans la demeure ? L’individualité de la jeune femme, ou bien l’innocence de Marall ? Le réalisateur nous laisse le choix de l’interprétation.

Une interrogation sur nos propres comportements en société, Skuggdjur est un film exceptionnel, qui ne laisse personne indifférent. Plus qu’une simple dystopie, ce court métrage est une incrimination au conformisme.

Sapho Malet,
Première option facultative cinéma,
Lycée Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand.