DVD 14/04/2019

“Yomeddine” : le voyage de deux parias

Si “Yomeddine” ne fut pas l’un des films les plus médiatisés de la compétition officielle du Festival de Cannes 2018, son édition DVD permet d’y revenir plus amplement.

Premier long métrage du jeune réalisateur austro-égyptien Abu Bakr, dit A. B. Shawky, Yomeddine pose d'entrée au spectateur, bien sûr, un vrai challenge, à savoir celui de surmonter ses réserves à suivre durant une heure trente, et parfois en gros plans, un héros portant les stigmates de la lèpre, cette maladie terrible qui l'a frappé enfant, ravageant son visage et atrophiant ses mains et ses doigts. Et c'est justement au-delà de toute possible réaction de “haut le cœur”  que l'humanité du cinéaste s'exprime, pour faire émerger toute celle de son personnage – et dans le même temps celle de son incroyable interprète Rady Gamal.

Car ce velléitaire Benshay qui, après avoir perdu sa femme internée à l'asile, entreprend de rentrer chez lui, partant vers le village de sa famille et de ses ancêtres – même si son père l'avait assez lâchement abandonné durant son enfance de petit invalide promis à la pauvreté et la ségrégation sociale – apparaît comme un courageux petit bonhomme, que le destin n'aura guère épargné. Vaillamment campé sur sa charette de fortune tirée par un âne comme fidèle compagnon, il est rapidement flanqué d'un orphelin surnommé Obama qui s'invite à l'expédition et ressuscite un schéma narratif qui fonctionne pleinement depuis le Kid de Chaplin. Entre la “Montagne de détritus”, gigantesque décharge à ciel ouvert où travaille Benshay au début du film, et la cour des miracles de la léproserie, cette vie de misère pourrait susciter seulement de la pitié ou de la compassion, mais l'humour fait de régulières incursions pour donner à ce qui aurait pu n'être qu'un chemin de croix les atours d'une odyssée moderne. 

Venu du documentaire et du court métrage (El Mosta'mara, qui plongeait déjà dans une colonie de lépreux, la dernière du pays, en 2008) et du court métrage  (Al Auda en 2009 ; The Road to Atalia en 2010), A. B. Shawky vient rejoindre Mohamed Diab (Les femmes du bus 678, Clash) dans un semblant de mouvement de renouveau du cinéma égyptien post-révolution et post-Chahine tout à la fois.

Christophe Chauville




Yomeddine
d'A. B. Shawky, DVD, Le Pacte, 16,90 euros.
Disponible depuis le 9 avril 2019.

Photos : © Desert Highway Pictures.