Cahier critique 23/03/2018

“The Face, The Heel... et Corentin” de Jean-François Mozerr

Corentin est un nouvel élève du catch club de Cognac. Réservé, sincère et persévérant, le jeune homme se donne à fond pour atteindre son objectif : lutter aux États-Unis ou à l’étranger. A-t-il l’étoffe d’un catcheur pour y parvenir ?

C’est au son de bruits de semelles sur un parquet de gymnase que l’on pénètre dans ce film documentaire où le rythme et le tempo – auquel il faut se raccorder, qu’il faut suivre – seront prépondérants. Car l'endurance, c’est bien là le problème de Corentin : nouvel élève du catch-club amateur de Cognac, il dénote, à la traîne, à la marge, lors des entraînements. Non que les autres élèves soient des athlètes – loin de là – mais lui, d’emblée, ne paraît pas à sa place, toujours saisi à bout de souffle, à l’arrêt ou à la peine. L’entraîneur, bienveillant, s’assure pourtant qu’il réussisse à suivre, le prend à part à plusieurs reprises, car le catch est avant tout une collaboration, un spectacle collectif plus qu'une série de face-à-face, et, du côté du réalisateur, il ne s’agit pas de rire aux dépends du jeune homme. Pas plus qu’il ne s’agira ici de se moquer des us et coutumes d’un sport aux ressorts facilement risibles. On rit pourtant, forcément, du décalage que trahissent les plans fixes, de ce corps lourd et maladroit. Mais en faisant de Corentin le relais de notre brève immersion dans ce milieu le réalisateur s’attache aussi à banaliser un sport où tout, rappelle-t-il dans une séquence clé, repose sur la mise en scène, sur une écriture préalable et sur des rôles précisément distribués. Puisque tout est faux ici, rien n’est grave.

On est ainsi à mille lieues de nombreuses fictions sportives fortement dramatisées ou du sadisme jubilatoire des entraînements de patinage artistique filmés récemment par Lila Pinell et Chloé Mahieu dans Boucle piquéou Kiss and Cry. Rappelons-nous aussi qu’à l’autre bout du spectre cinématographique, The Wrestlerde Darren Aronofsky s’attachait, il y a une dizaine d’années, à enlever au catch ses oripeaux spectaculaires pour révéler dans le personnage de lutteur interprété par Mickey Rourke un émouvant prolétaire springsteenien, loin des icônes eightiesayant, tel Hulk Hogan, popularisé le catch jusqu’en France. Corentin a forcément vu ce film, lui qui confesse vaguement rêver d’aller “catcher” un jour aux États-Unis.

Pour l’heure, sa consécration se fera, locale, sur un ring installé dans les rues d’une petite ville de province. Et la beauté du film de Jean-François Mozerr (qui fut aidé par le GREC sur la base de cinq à sept minutes de rushes) sera de montrer cette modeste apothéose comme une victoire personnelle. Devenu André James (clin d’œil au mythique André le géant), Corentin peut délaisser les coulisses pour enfin monter sur scène. Celui que l’on voyait combattre sur une borne d’arcade vintage, que l’on croyait cantonné à la virtualité de ses désirs, que l'on croyait condamné à encaisser les coups, peut enfin jouer le rôle dont il rêvait face à un public volontiers candide. Les cris des spectateurs clairsemés, enfants et adultes confondus, les commentaires d’un maître de cérémonie surjouant l’enthousiasme viennent clore ce film sur un élan chaleureux, plein d’optimisme : beau cadeau, surtout, par la grâce du montage, d’un réalisateur débutant à son protagoniste novice.

Stéphane Kahn

Réalisation, scénario et image : Jean-François Mozerr. Montage : Dania Reymond. Son : Élodie Gabillard, Marc Tournier, Dorian Pfister et Cyril Jegou. Interprétation : Corentin Morilière, Johnny Lacoux et Gérard Urien. Production: GREC.