Cahier critique 01/07/2020

"The Barber Shop" de Gustavo Almenara et Émilien Cancet

Calais, octobre 2016.

Le 24 octobre 2016, la fameuse jungle de Calais voyait débuter des opérations d’évacuation ordonnées par le ministre de l’Intérieur d’alors, Bernard Cazeneuve, sous très haute présence policière. Le site connaît alors son point maximal d’occupation, avec près de 6 500 migrants recensés. C’est précisément dans les semaines précédentes qu’Émilien Cancet et Gustavo Almenara y ont tourné et leur démarche documentaire tranche radicalement avec les reportages des chaînes d’info en continu et autres JT mainstream. Loin du cloaque où s’entasseraient dans la misère, la saleté et la violence des hordes en haillons – des conditions qui ont évidemment pu exister –, le duo a planté sa caméra dans une échoppe de fortune, certes, mais dédiée à la coiffure et l’entretien de la barbe de ces hommes ayant parcouru des milliers de kilomètres pour se voir bloqués à portée de regard des côtes anglaises. Alors que cette “Terre promise” leur est, au dernier moment, rendue inaccessible, trois d’entre eux se livrent ainsi au travail des ciseaux et des rasoirs, comme à l’intérieur d’une parenthèse de bien-être et de douceur à savourer, succédant à l’enfer de voyages longs et semés d’embûches. Dans ce camp improvisé de baraques de bric et de broc, le souci de “se faire beau”, d’être propre et soigné, résonne comme une insubmersible volonté de conserver une dignité, d’affirmer son humanité à qui aurait tendance à la gommer, d’appliquer un baume sur les multiples souffrances qui rendent si pénibles l’attente et la solitude partagées, loin des familles et de tous les repères.

Emran, Gadisa et Maher se font coiffer et raser de près, sans parler, mais tout en relatant en voix off, dans leur langue maternelle, ce qu’ils ont vécu au fil de leur chemin, sur terre et en mer, et ce qu’ils éprouvent désormais. Le regard des deux réalisateurs – l’un à l’image, l’autre au son, les deux au montage – se fait discret, mais jamais neutre : ces visages, parfois filmés en légère contre-plongée, retrouvent la noblesse que certains cherchent tant à leur nier, d’Orban à Salvini en passant par l’extrême-droite française. Et leurs récits ne sont que ceux des drames de l’humanité du XXIsiècle dans son destin commun, qui concerne chacun. L’un a dû quitter l’Éthiopie, appartenant à la minorité menacée des Oromos ; un autre a fui l’Afghanistan et les talibans, qui en voulaient à son taxi et à sa liberté. Et l’image d’une lame de rasoir sur sa pomme d’Adam, ici caressante, laisse entrevoir de façon subliminale ce qu’il aurait pu advenir de lui s’il était resté là-bas.

L’exil s’est imposé à ces hommes, contrairement à ce que prétendent les discours xénophobes. Aussi plastiquement beau que salutaire dans ce qu’il révèle, The Barber Shop a reçu le Prix Égalité et diversité lors du Festival de Clermont-Ferrand 2018, ce n’est que légitime.

Christophe Chauville

Réalisation : Gustavo Almenara et Émilien Cancet. Image : Émilien Cancet. Son : Sylvain Jempy. Musique originale : Jérome Cancet. Production : XBO Films.