Cahier critique 10/04/2019

“Les guerriers” de Maxime Caperan

Quatre ans avant “L’adieu à la nuit” d’André Téchiné, Kacey Mottet Klein crevait déjà l’écran dans “Les guerriers”.

Thomas, adolescent désorienté, a arrêté l’école pour se consacrer aux petits deals. Pourtant, pour donner un semblant d’illusion à sa mère – et certainement à lui-même –, il continue de porter un cartable lors de ses virées, comme pour s’accrocher à une innocence qui a déjà pris fin. Dans une Bretagne rurale en proie aux flottements et au désœuvrement, Thomas et son acolyte Sébastien ont comme projet de se rendre à Paris, ville mirage laissée hors champ, enjeu narratif et territoire inaccessible, pour prendre part au monde.

Maxime Caperan capte – avec un regard à la lisière du documentaire – des êtres immobiles et paralysés (caméra proche des corps las, avachis dans des canapés, aux gestes incertains), mais qui aspirent au mouvement (seuls les trajets en scooter et plus tard, dans un bel élan émancipateur, en bus permettent quelques rares envolées d’insouciance perdue). Tous les éléments cinématographiques confinent à une certaine noirceur : la photographie d’Eva Sehet rend compte d’une grisaille venteuse aussi sombre que l’environnement social mortifère, tandis que la topographie des lieux, souvent filmés de nuit ou dans l’obscurité, mène vers de mornes impasses.

L’écriture ciselée de Thomas Finkielkraut et de Caperan se cristallise sur des personnages en crise. Les guerriers aborde, dans un récit ramassé, de nombreuses crises (adolescente ; économique ; identitaire). Il est question d’une vie de simulacre : malgré un poster du Parrain dans sa chambre, Thomas n’est qu’un maigre dealer timoré et, malgré des visionnages de films pornographiques, il échoue à concrétiser un rapport intime. Tout n’est qu’échec du réel.

L’autre enjeu du film se tapit dans le titre, Les guerriers. Pas de guerre au sens propre (sauf celle d’un jeu vidéo au détour d’un plan), mais une bataille contre le déterminisme social et contre les inepties contemporaines. Les protagonistes scandent et se définissent comme des guerriers, un acte de résistance tragique. La lutte est intérieure, Thomas est surtout en conflit avec ses émotions exacerbées, comme pétrifié par ses propres apories. Il faut Kacey Mottet Klein pour interpréter ces sentiments complexes. L’acteur franco-suisse alliait déjà adroitement questionnements existentiels et petites querelles relationnelles dans Quand on a 17 ans d’André Téchiné (2016). Ici, les palettes d’émotions varient entre retenue et explosions de colère, tel ce film d’une fureur gracile.

William Le Personnic

Réalisation : Maxime Caperan. Scénario : Thomas Finkielkraut et Maxime Caperan. Image : Éva Sehet.
Montage : Alexandre Donot. Son : Clément Decaudin, Olivier Voisin et Paul Jousselin. Musique originale : Florent Paris. Interprétation : Kacey Mottet Klein, Constantin Vidal et Audrey Bastien. Production : Les films du clan.