Cahier critique 10/04/2019

“Le poteau rose” de Michel Leclerc

Le réalisateur de “La lutte des classes”, Michel Leclerc, dans son intimité !

On ne peut reprocher au réalisateur du Poteau rose de ne pas annoncer la couleur dès le générique. En sous-titrant son court métrage de la mention “Un film narcissique de Michel Leclerc qui dure 14 mn”, il assume d'emblée la dimension auto­biographique d'un objet atypique se pré­sentant comme un journal vidéo, une mise à nu tout à la fois drôle et touchante. Récit à l'imparfait d'une histoire d'amour qui finit mal, Le poteau rose est, malgré la dimension affective qui le sous-tend, un film qui dépasse le strict propos intimiste par sa fantaisie et par la propension un rien masochiste du réalisateur à se moquer de lui-même et de ses états d'âme. Sur un ton toutefois plus alerte, il n'est d'ailleurs pas sans évoquer le film d'animation de Sébastien Laudenbach sobrement intitulé Journal. On y trouve les mêmes doutes, les mêmes incertitudes, le sentiment de frôler de près une dépression, mais aussi le désir du cinéma et de sa potentielle vertu thérapeutique. Réalisé de bric et de broc, alternant prises de vues vidéo, animation sommaire et film de famille Super 8, Le poteau rose compense des moyens qu'on devine dérisoires par une liberté de ton, un humour pince-sans-rire et une ironie douloureuse rares dans des courts métrages qui ne connaissent la plupart du temps des dérapages que contrôlés. Face à la caméra, le réalisateur se confie et exhibe avec aplomb les cicatrices que lui a laissées cette histoire d'amour. Le reproche fait à cer­tains de trop parler d'eux-mêmes, de se cantonner à leurs petites expériences dans des films où l'anodin le dispute au superficiel, n'a plus cours ici car Michel Leclerc séduit, amuse et réussit, grâce à une vraie qualité d'écriture, la greffe com­plexe de la confession intime et de l'hu­mour. Plus que tout – au-delà de sa fan­taisie formelle et de ses chansons impromptues aussi belles que dérisoires­ – Le poteau rose bouleverse par sa sincérité et par sa manière d'inscrire des sentiments dans le temps, de livrer les souvenirs intimes d'une relation que des petits riens ramènent au premier plan. Ainsi, le gim­mick consistant à parsemer le film d'ex­trait musicaux reconnaissables (“à celle époque, on écoutait ça...”) ou cette façon d'inscrire le sentiment amoureux dans le cours d'une filmographie bien connue (“En fait, notre histoire a duré le temps de cinq films de Woody Allen”), traduit assez justement la présence de la chanson ou du cinéma dans nos vies, et surtout comment certains airs, certaines oeuvres, seront toujours liés au souvenir d'une personne aimée, à des moments vécus ensemble. Du coup, les modules comiques plus ou moins réussis qui ponctuent le film agissent vraiment comme contrepoint, telle une résistance de la pudeur, à ce qui compte le plus dans Le poteau rose : le souvenir d'une femme (“la reine des chieuses”) que le narrateur (auto­proclamé “roi des emmerdeurs”) aime tou­jours sans n'y rien comprendre. Le film sert aussi à cela, à le lui dire. À le dire à leur petite fille. C'est bien pour cela que c'est l'un des plus émouvants que l'on ait pu voir cette année. 

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n°51, 2001.

Réalisation, scénario, image, montage et son : Michel Leclerc. Musique originale : Pascal Comelade, Valérie Lemercier, Yann Tiersen et Michel Leclerc. Interprétation : Marie Massié du Biesc, Margot et Michel Leclerc. Production : Les films du Bocal