Cahier critique 21/08/2018

“Kérozène” de Joachim Weissmann

Suspense garanti pour ce polar qui exploite nos névroses (Prix SNCF du polar 2013).

Kérozène s’apparente à ces intrigants numéros de prestidigitation qui orientent le regard vers un point pour mieux le détourner d’un autre. De ces créations qui rappellent au spectateur son infinie docilité, sa prévisible condition. Mais n’est-ce pas d’abord cela, le cinéma ? Le plaisir d’une illusion consentie, souhaitée même, qui n’est jamais aussi réussie que lorsque le spectateur se surprend à s’y être laissé prendre.

Alors Kérozène, pour mieux brouiller les pistes, entrelace les temps et les récits : celui de la thérapie, celui de la romance, celui de l’aéroport. Tour à tour, ils gagnent en importance, prennent l’ascendant sur les autres avant de leur céder la place. Emportés par cette valse douce, nous suivons la danse. À peine remarque-t-on le fil rouge qui les traverse, ténu, si ténu qu’il glisse comme une anecdote dans nos oreilles, comme une simple couleur ajoutée à ces trois temps qui monopolisent notre attention. Rouge, la couleur.

Bien sûr, lorsque le rythme se précipite, que les récits coïncident, la sensation, jusqu’alors effleurée, se fait plus précise et ses occurrences passées nous reviennent en mémoire. Les citations, le rituel des clés, la curiosité, l’attention extrême portée à certains gestes prennent soudain un nouveau relief. Fusionnant les récits qui nous tenaient auparavant en haleine, la trame enfouie, l’intrigue principale et ignorée, émerge, nimbée de la fraîcheur de la surprise et de l’efficience du temps long. Elle met à jour des relations jusqu’alors éludées, remet en perspective les événements selon un point de vue plus critique, nous transporte d’une complicité à une autre ; une nouvelle cohérence, enfin, émane du montage fragmenté. Néanmoins, comme tout numéro de prestidigitation réussi, le court métrage ne se départ pas d’une certaine aura de mystère et d’incompréhension.

Et tandis que l’histoire se répète dans une infime variation, nous traquons les ficelles, les rouages qui ont conduit à nous perdre. L’ombre du mirage plane pourtant. C’est que l’illusion, plus que de l’ignorance, se nourrit du désir d’y croire. Il y a définitivement quelque chose de magique au cœur de Kérozène.

Claire Hamon

Réalisation : Joachim Weissmann. Scénario : Marc De Coster et Joachim Weissmann. Image : Bruno Degrave. Montage : Marc Baloo De Coster. Son : Elsa Ruhlmann, Hugo Fernandez Marcos et Mathieu Pomes. Musique : Pierre Mussche et Renaud Charlier. Interprétation : Amandine Nova, Jacky Druaux, Eric de Staercke, Philippe Résimont, Michèle Caucheteux et Éric Godon. Production : Artémis Productions (Belgique).