Cahier critique 15/11/2017

“Hugues” de Pascal Cervo

Comédien estimé, Pascal Cervo est aussi réalisateur. Découvrez son dernier court récompensé par le Grand prix au festival Côté court de Pantin 2017.

Le travail du comédien, souvent traité frontalement au cinéma, est ici abordé en creux par Pascal Cervo. Le réalisateur, lui-même comédien, opte pour un traitement tragi-comique de cette double mise en abyme périlleuse, en refusant de laisser son personnage de comédien s’enfoncer dans une crise existentielle dont les origines semblent multiples et confuses.

Hugues, acteur de quarante ans, s’est réfugié dans la maison de son enfance suite au décès de sa mère. Son compagnon Serge le soutient, à sa façon, dans cette démarche d’isolement, et dans sa décision de ne plus jouer. Mais Micheline, metteur en scène, veut ramener Hugues sur scène, coûte que coûte.

Pascal Cervo, qui n’en est pas à son coup d’essai à la réalisation, rassure dès les premiers plans ; les turpitudes de Hugues seront traitées avec légèreté, mais pas à la légère. Le choix du traitement burlesque de l’histoire exige du réalisateur une écriture, une mise en scène, des cadres et une photographie qu’il s’avère maîtriser parfaitement.

Tandis que le réalisateur-comédien se dissimule derrière la caméra, son personnage principal se retire de la scène et de la vie en s’éclipsant derrière une baie vitrée. Loin de s’apitoyer sur le sort de Hugues – son double ? –, Pascal Cervo injecte dans son récit et sa mise en scène une multitude de signes comiques, parfois référencés, souvent inédits, qui portent Hugues vers une résolution lumineuse, mais néanmoins autocritique.

L’un de ses éléments est la maison elle-même. Les maîtres du burlesque l’ont souvent placée au centre de leurs films, la faisant passer du statut d’élément de décors à celui de personnage à part entière : La maison démontable de Keaton, la villa domotique de Mon oncle, ou sa cousine américaine de The Party, entre autres. L’idée, culottée, de Pascal Cervo, est de donner l’un des rôles principaux à une maison moderne, d’une banalité désolante, située dans un lotissement de la grande banlieue parisienne. Le réalisateur compte sur ce total manque de charme pour révéler ses personnages, et parfois leurs contradictions ; Hugues, reconnu comme un acteur adepte de textes en langues mortes, certifie pouvoir vivre dans une maison contemporaine sans âme, dans un environnement urbain et humain hostile à son art. La répétition d’un texte classique dans le hall carrelé de l’entrée, sur fond sonore de tronçonneuse, en est une illustration hilarante, tout comme les jets de tomates nocturnes de ses voisins réactionnaires. C’est aussi dans la maison que se trouve l’un des éléments de décors “actif” de l’histoire : la porte-fenêtre. Véritable frontière entre l’état dépressif du comédien et le monde extérieur, cette structure coulissante ne cesse de s’entrouvrir, de se fermer et de s’ouvrir sur des personnages et situations divers, de jour comme de nuit. Pascal Cervo fait de cet unique élément un générateur de gags à répétition, en déclinant à l’envi le potentiel de ce cadre coulissant. D’un point de vue plus dramatique, c’est aussi cette fenêtre sur l’extérieur qui se referme violemment et qui est parfois agrémentée de trois autres niveaux d’occultation visuelle et sonore dans les moments critiques : le rideau, le volet roulant, puis, tel un ultime rempart, la palissade noire dans le jardin.

Ces ouvertures et fermetures successives déterminent aussi la tonalité lumineuse du film et de l’état psychologique de son personnage : le chef-opérateur en joue pour créer une palette sensible faite de zones d’ombre, de clairs-obscurs, de contre-jours ou noirs intenses. Ces jeux d’obturateurs, tout en étant cohérents avec la clôture physique du périmètre et de l’action, accentuent également le contraste avec la mise en lumière dont un acteur est censé se nourrir.

Enfin, ce sont les corps et leur chorégraphie qui permettent au film d’accéder au statut d’œuvre burlesque. Non par des cascades ou des postures démonstratives, mais par une accumulation de petits détails dans le geste, le placement, ou l’attitude. Chaque personnage semble avoir sa gamme d’expression, et chacune de ces partitions s’accordent parfaitement avec les autres pour créer une symphonie harmonieuse et colorée, de la rigidité de Serge à la décontraction des nudistes, en passant par l’autoritarisme du voisin et ami d’enfance Michel Labize.

La réussite de Hugues tient de l’assemblage réussi des différentes composantes d’un tel projet ; grâce à une écriture au cordeau, une réalisation exigeante et des comédiens inspirés – Arnaud Simon et Dominique Raymond, mais aussi tous les rôles périphériques –, le film évite soigneusement tous les pièges d’un tel sujet – clichés, lieux communs et caricatures grossières – et assume son étiquette de comédie douce-amère, d’une durée que l’on peut qualifier d’ambitieuse, sinon risquée, dans ce genre cinématographique.

Fabrice Marquat

Réalisation et scénario : Pascal Cervo. Image : Raphaël Vandenbussche. Montage : Martial Salomon. Son : Rosalie Revoyre et Xavier Thieulin. Décors : Clémence Hamel. Interprétation : Arnaud Simon, Gaëtan Vourc’h, Dominique Reymond, Bastien Ossart, Simon P.R. Bewick, Julien Lucq et Julia Marty. Production : Barberousse Films.