Cahier critique 21/08/2018

“Carjack” de Jeremiah Jones

Laissez-vous surprendre par ce film d’action qui brouille les pistes entre le Bien et le Mal (Prix SNCF du polar 2015).

Sous le soleil ardent de Los Angeles et son ciel d’un bleu immaculé, les parcelles d’ombres elles-mêmes ne sont que des tâches de lumière plus diffuse. Pourtant, sous cette apparente clarté, une intrigue à l’opacité insoupçonnée se noue.

C’est que Carjack, délaissant l’obscurité dense et mystérieuse du polar traditionnel, élabore une esthétique où l’extrême netteté de l’image et l’intensité des couleurs deviennent de véritables ressorts dramaturgiques. Jeremiah Jones modernise ainsi ce genre mythique du cinéma en se saisissant d’une approche radicalement opposée : plutôt que de dissimuler, il donne à voir. Multipliant les axes et les échelles, la caméra induit une sensation d’ubiquité : trajectoire, GPS, téléphone, bouton de verrouillage des portes, etc. Rien ne semble pouvoir échapper à l’œil scrutateur de l’objectif qui, dans son zèle à saisir les différentes facettes de la situation qui s’offre à lui, tend à faire oublier au spectateur qu’au cinéma, tout est toujours affaire de point de vue. Confondant perception et connaissance effective, il devient alors sa propre dupe.

Loin d’une simple coquetterie stylistique, cette approche résolument moderne du polar cinématographique justifie d’y porter une attention plus particulière. En effet, si Carjack renouvelle ostensiblement le genre, c’est d’abord parce qu’il en assimile les principaux codes afin de mieux les déjouer par la suite ; le caractère stéréotypé des personnages et la bande sonore concourent ainsi à modeler insidieusement les attentes et les croyances du spectateur selon le schéma classique, renforçant l’effet de surprise lorsque celui-ci ne se vérifie pas. Le rythme familier imprimé au film par ces motifs codifiés, composé de mises en tension (nappes sonores) et de suspensions (raréfaction des sons), révèle progressivement au travers des multiples rebondissements un relief inédit. En effet, dans un mouvement continu, les significations d’abord attribuées instinctivement évoluent avec la trame narrative et acquièrent peu à peu une nouvelle portée, propre au court métrage ; ainsi de la cadence insufflée par la crise d’asthme de Jack, compte à rebours d’un danger dont le véritable visage ne s’incarne que dans sa répétition.

Répétitions et variations deviennent alors le cœur de l’intrigue et invite à penser un monde radicalement différent de celui représenté par le polar classique. En effet, tandis que ce dernier dépeint un monde où le secret et le mystère règnent, Carjacks’inscrivant dans la logique contemporaine du flux, inonde le spectateur d’une foule d’informations. L’enjeu n’est plus alors de découvrir quels ressorts intérieurs régissent secrètement l’action, mais de parvenir à interpréter avec justesse la réalité qui se donne à voir.

Le court métrage de Jeremiah Jones ne limite pas ainsi la modernisation du genre au simple ajout de quelques inventions contemporaines telles que le GPS ; il adapte les codes établis aux mutations de la société contemporaine.

Claire Hamon

carjackthemovie.com

Réalisation et scénario : Jeremiah Jones. Image : Pete Villani. Son : Carrie Sheldon, Chris Howland et Henri Auerbach.  Montage : Carsten Kurpanek. Musique : Richard Walters. Interprétation : Mo McRae, Marsh Mokhtari et Skyler Brigmann.Production : Robinson-Jones Productions (États-Unis).