En salles 15/11/2023

Du court au long : Stéphan Castang, fulgurance au poing

Avec son premier long métrage, qui sort en cette mi-novembre, Stéphan Castang avait frappé fort à la Semaine de la critique, avant de faire sensation à Neuchâtel, Strasbourg, Montréal, Sitges ou Londres. Il y confirme tout son goût pour la retranscription des doutes et des troubles du monde, jusqu’à l’extrême.

Vincent doit mourir ne passe pas inaperçu dans la galaxie des sorties en salle. Tout comme dans la masse des premiers longs métrages présentés chaque saison. Tout comme dans la production cinématographique française dans son ensemble.

Car cette arrivée dans la cour des longs hexagonaux détonne. Par son ton, brutal, décapant, drôle, déboussolant et saisissant. Par sa forme, sèche et vive. Stéphan Castang est un trublion qui assume son regard perçant sur la société et sur l’humanité. Avec la base du scénario créé par Mathieu Naert, il a trouvé un matériau adéquat pour exploiter les thématiques qui le titillent, et la rêverie idéale pour mettre en images et en sons un univers de cinéma. Une manière de réunir tous les fils déjà tendus dans ses courts métrages, et de tisser une toile riche pour le grand écran.

Jeunesses françaises (2010), Service compris (2014), Fin de campagne (2014), Panthéon Discount (2016) et Finale (2020) apparaissent ainsi dans le rétroviseur comme les graines prometteuses des aventures tonitruantes de Vincent. Ce quidam, banal et pas plus sympathique que ça, se retrouve pourtant au centre d’un récit, et héros de péripéties ahurissantes. De l’art de l’anti-héros comme vecteur des énergies d’une fiction. Il faut dire que le personnage en a à revendre, et que le choix de l’acteur qui l’incarne est judicieux.

Karim Leklou, sacré comédien, n’en finit pas de transcender les êtres couchés sur le papier des scripts et des fantasmes des cinéastes. Après notamment Coup de chaud de Raphaël Jacoulot, Le monde est à toi de Romain Gavras et Goutte d’or de Clément Cogitore, il apporte sa présence à la fois lunaire et puissamment ancrée à cette nouvelle création. Du grand art.



Le regard, c’est aussi celui du Stéphan Castang sur Vincent, tout comme sur Margaux et sur les autres personnages de son film, et sur le monde. Un monde qui constitue le galaxie de son cinéma. L’anticipation et le genre sont déjà constitutifs de Panthéon Discount (photo ci-dessus), parabole dystopique sur un futur proche (2050), où la déshumanisation passe par une ségrégation extrême des êtres par la santé, qui va jusqu’à effacer la mémoire, soigner ou reprogrammer en un clic et un abonnement. Le regard documentaire sur les visages, saisis en gros plans, parfois hagards, parfois volontaires, parfois victimes, nourrit déjà le dispositif formel de Jeunesses françaises et de Panthéon Discount, tous deux portés par un art du cadre fixe et du noir et blanc.

L’écrasement social d’un système aliénant construit déjà la fresque autour d’un commissariat, juste avant l’élection présidentielle de 2012, dans Fin de campagne, tout comme les retraités pressés jusqu’à la moelle par le système de santé 2.0 dans Panthéon Discount et les seniors poussés à se tenir à carreau dans leur quotidien en maison de retraite dans Finale. Quant à la jeune héroïne de Service compris (photo ci-dessus), elle doit obtempérer au bon vouloir des injonctions paternelles, et de l’exploitation généralisée d’une Europe occidentale, dont les natifs restent souvent plus chanceux qu’ailleurs. Cette donzelle fait suite à la bande d’élèves interrogés par un esprit parfois tordu, et confrontés à leurs rêves d’avenir, dans Jeunesses françaises. Une manière toujours efficace et corrosive d’ausculter le sociétal, ses âmes, ses corps, loin du spectaculaire et des diktats des couvertures de magazines.



Mais la révolte gronde, et ces personnages ont de la rébellion à revendre. Tapie dans les tripes ou explosive, elle palpite. L’énergie juvénile irrigue aussi les veines de Vincent doit mourir. Une vision connectée à l’environnement, sans âge ni effet de mode. Sans agir non plus en mode “gros malin”, dans un champ du 7e art, le genre, où parfois les cinéastes peuvent vouloir jouer les gros bras pour prouver qu’ils en ont et savent filmer. Stéphan Castang s’est nourri de sa cinéphilie, et assume ses inspirations, ici, aussi bien George A. Romero ou John Carpenter que Luis Buñuel.

Le saisissant, l’ironique et le décapant. Mais il dépasse l’influence des maîtres pour faire sien son projet. La singularité propre inonde ce premier long, grâce au mélange casse-gueule des genres, mais malicieusement harmonisé. Survie, épouvante, paranoïa, romance, farce, road movie, les ingrédients et les catégories sont régénérés par l’écriture, au scénario, à la mise en scène et au montage. Un montage que le cinéaste assure lui-même dans ses courts, tous produits par Takami, mais qu’il a confié pour son long à Méloé Poillevé. La jeunesse enfin, que Stéphan Castang visite et inspire lui aussi, puisqu’il enseigne toujours à l’université, en tant que chargé de cours à Paris et en Région Bourgogne Franche-Comté. Un goût du passage et de la transmission, car le cinéma est étymologiquement “mouvement”. Et Vincent doit mourir s’avère un mouvement copieusement réjouissant.

Olivier Pélisson



À lire aussi :

- Du court au long : Le ravissement d’Iris Kaltenbäck.

- Un moyen métrage avec Karim Leklou : Marseille la nuit de Marie Monge.