En salles 20/03/2024

C’est le printemps des réalisatrices !

Cette semaine, celle de l’arrivée officielle du printemps, voit plusieurs films réalisés par des femmes arriver sur les écrans, venus d’Estonie, de Chine et du Canada francophone.

Outre Bis repetita, le premier long métrage d’Émilie Noblet, dont il est question par ailleurs (article à lire ici), le 20 mars aura vu sortir d’autres œuvres signées de femmes cinéastes, dont les respectives réussites méritent d’être soulignées et louées.

Smoke Sauna Sisterhood, d’Anna Hints (photo de bandeau), n’est pas le premier long de celle-ci, qui compte un autre documentaire à son actif (Roots/Juured, 2018), en plus de plusieurs courts métrages. Elle a cette fois posé sa caméra dans un sauna d’une région boisée du sud-est de l’Estonie, où se retrouvent des femmes adultes de plusieurs générations, qui papotent, se souviennent, rient et pleurent. Le lieu a un caractère sacré revendiqué et le point de vue devient vite universel, une seule et unique voix unissant finalement tous les témoignages, en un rapport de sororité souvent opposé à la violence masculine – y compris durant l’époque de domination soviétique (et la frontière avec la Russie n’est guère éloignée…). La photo est superbe et la réalisatrice filme la nudité de façon complètement naturelle, et “désérotirisée”, en cadrant le plus souvent des portions de corps, illuminées en clair-obscur par le feu du brasier du sauna.

Il a fallu plusieurs années de prises de vue et le concours de dizaines de femmes pour construire plan après plan ce film vibrant de résilience, d’espoir et de bienveillance partagée, s’achevant sur un chant de libération proche de l’incantation et du registre de la sorcellerie, en vogue aussi à l’Est de l’Europe, dirait-on…

Autre contexte et autre solidarité féminine affirmée avec Blue Summer (A Song Sung Blue), premier long métrage de la Chinoise Geng Zihan, présenté en 2023 à la Quinzaine des cinéastes (photo ci-dessus). Une adolescente mutique, Xian, âgée de quinze ans, doit aller vivre chez son père durant l’été, alors que sa mère s’apprête à partir pour son travail. Elle y fait la connaissance de la fille de la concubine de son géniteur, Mingmei, qui est un peu plus âgée qu’elle, très féminine, et qui la fascine immédiatement – si ce n’est qu’elle l’attire sensiblement, malgré elle. 

Un récit d’apprentissage sur la fin de l’enfance et les premiers désirs, le temps d’un été, voilà qui aurait pu être très conventionnel, correspondant à un sous-genre si délimité. Mais le récit prend des chemins buissonniers et montre, à la manière d’autres cinéastes indépendants du pays-continent, un autre de ses visages. Sa jeunesse s’ennuie et cherche à exister, sinon à s’en sortir, à la manière de Mingmei avec un riche protecteur, beaucoup plus âgé et marié.

La question de l’immigration – Mingmei est d’origine coréenne – se pose aussi, ce qui n’est guère habituel (sinon dans Un hiver à Yangji, d’Anthony Chen, l’an dernier) et on tient sans doute une personnalité à suivre : originaire de Beijing, Geng Zihan est issue de la Central Academy of Drama et a réalisé au préalable deux courts métrages, aux titres internationaux de A Ray of Sunshine (2019) et Green Screen (2021).

Venue également du court métrage, le Québécoise Ariane Louis-Seize brosse le portrait d’une adolescente en proie aux affres de son âge, et plus encore, avec Vampire humaniste cherche suicidaire consentant. Tout est dit, le titre est éloquent, suivant Sasha dans ses atermoiements : sujette à l’empathie envers les humains, elle est incapable de chasser et de mordre, se contentant de se nourrir de poches de sang qu’elle sirote à la grande honte de certains de ses proches. Quand elle rencontre un jeune homme qui ne tient pas tellement à la vie, ce pourrait être la solution à tous ses soucis, mais voilà : elle en tombe amoureuse !

La comédie est emballante, impeccablement interprétée par la jeune Sara Montpetit, et la réalisatrice joue avec les codes de plusieurs genres à la fois : fantastique, teenage movie, “romcom”. Avec l’accent de la Belle-Province en bonus, c’est assez délicieux ! On avait d’ailleurs déjà croisé et remarqué le patronyme très “Ancien régime” de la réalisatrice montréalaise au gré de plusieurs courts métrages, notamment Les petites vagues, autre romance adolescente décalée, en 2018.

Christophe Chauville

À lire aussi :

- Le programme du Festival international de films de femmes de Créteil 2024.

- Un hommage à Sophie Fillières à l’Archipel à Paris.