Cahier critique 10/02/2021

“Massacre” de Maïté Sonnet

Deux sœurs, de 10 et 12 ans, s’apprêtent à quitter leur île adorée, devenue trop chère pour leur famille. Leur tristesse se transforme en rage pointée vers ceux qui les poussent à partir : les touristes. Ce dernier été sera noir, mortel, aussi toxique que les algues qui pullulent sur les plages.

Propriétaires de résidences secondaires nichées dans un cadre sauvage : tremblez. Ce conte d'horreur jubilatoire de haute volée pourrait inspirer les habitants exaspérés des îles ou des campagnes Campé sur Oléron, son récit aurait pu se dérouler sur l'un ou l’autre de ces bouts de terre chics éparpillés au bord de l'Atlantique. Inès et Bleuenn, deux sœurs de dix et douze ans, doivent quitter les rivages de leur enfance, rendus inabordables pour leur famille par la saturation touristique. A voir les hordes de vacanciers envahir le port avec leurs perpétuelles jérémiades, la tristesse cède place à la colère. Le cœur des filles déborde, vert de rage, comme cette algue toxique qui colonise les plages. Symptôme de la catastrophe écologique ou coup de pouce complice de l'océan ? Les enfants se saisissent de ce poison providentiel pour perpétrer leur vengeance.

Réalisme, humour, angoisse : Maïté Sonnet jongle avec les registres pour mettre en scène la violence des rapports de classe à l'œuvre dans la gentrification d'un territoire. Massacre opère comme la rencontre, sur une table de montage, entre John Carpenter et Annie Ernaux. Les sœurs parodient la bourgeoisie qui les oppresse, à la façon du tandem de La cérémonie de Claude Chabrol (1995) Distillé par le jeu des comédiennes, d'une profondeur inquiétante, le suspense se traduit dans une obsession pour le motif des liquides. Le jet d'un tuyau d'arrosage fait voler une vitre en éclats, des lampées de granité orange imbibent le sol. Image et son s'amusent avec la pâte d'algue létale. Comme si ces coulées symbolisaient l'état physique d'une colère irrépressible. Noir, mais ludique et jouissif, ce crime enfantin célèbre la puissance de personnages qui partent tristes, mais vengées.

Dans un même mouvement que le thème ancestral de la domination de classe, Massacre capte l'air du temps présent. Il s'inscrit dans une mouvance gore prisée par le cinéma français. Le duo incarne la sororité, centrale pour le féminisme. Les tambours tribaux du compositeur Pierre Desprats, venus du fond des âges, donnent aux forêts d'Oléron des allures de Brocéliande Ils accentuent la connexion quasi surnaturelle qui lie ces apprenties sorcières à la nature, et les rattache à la pensée de l'écoféminisme. Plus prosaïquement, mais en toute logique, les fillettes sont adeptes d'Instagram. Maïté Sonnet utilise ces nouvelles images comme une matière, sans craindre une forme hybride qu'elle rend très efficace. Les réseaux sociaux proposent un éventail de filtres au charme suranné — lissage des traits, romantisme vintage. Une palette du bonheur où l'on cherche en vain des saturations de lumière qui exprimeraient la révolte ou la colère Les nuances de Massacre y remédient, proposant un vert de rage fluo, ultraréjouissant et vitaminé.

Cloé Tralci

Article paru dans Bref n°126, 2021.

Réalisation et scénario : Maïté Sonnet. Image : Marine Atlan. Montage : Marylou Vergez. Son : Clément Maleo et Clément Tijou. Musique originale : Pierre Desprats. Interprétation : Mahogany Elfie-Elis, Lila Gueneau Lefas et Vincent Magnoni. Production : Quartett Production.

Avec le soutien de la