Extrait
Partager sur facebook Partager sur twitter

Lieux communs

Christophe Loizillon

1982 - 8 minutes

France - Documentaire

Production : Les Films du Lagon bleu

synopsis

Quelques comportements humains devant un monument parisien : Notre-Dame de Paris. Des gens dorment, mangent, se photographient, lisent des guides touristiques, chacun ayant un comportement stéréotypé. La caméra les filme en s’attachant à restituer le climat de ce lieu où les clichés photographiques et humains sont constants.

Christophe Loizillon

Né en 1953 à Gorcy, en Lorraine, Christophe Loizillon étudie à Paris, à la faculté de Nanterre, où il obtient un Master d’économie en 1976.

Il travaille ensuite comme monteur sur les films de Christine Pascal, Léos Carax et Alain Corneau. Il débute comme réalisateur en 1982 avec un court métrage documentaire, Lieux communs. Entre 1985 et 1997, il réalise une série de cinq films, portraits d’artistes et de leur travail : Georges Rousse, Roman Opalka, François Morellet, Eugène Leroy, Felicie Varini.

Il crée en 1995 avec Santiago Amigorena, sa propre maison de production, Les Films du Rat, au sein de laquelle le réalisateur entame une réflexion sur le rapport de l’homme à son corps – à travers Les mains (1997), Les pieds (2000), Les visages (2005), Corpus/Corpus (2008), Les sexes (2017) –, mais aussi à son environnement, à la famille (Famille, 2011 ; Maman, 2020) et, plus largement, à l’Autre (Homo/Végétal et Homo/Animal, 2013 ; Homo/Minéral, 2019 ; Êtres vivants, 2014). En 2022, il signe un nouveau court métrage : L'escalier.

Parallèlement à son travail de réalisateur, il aura présidé l’ACID (l’Agence pour le cinéma indépendant et sa diffusion) de 1999 à 2002. Il intervient également dans des écoles des Beaux-Arts, de cinéma et à l'université.

À partir de 1995, Christophe Loizillon semble avoir trouvé son “économie” : en devenant producteur, il trouve une forme d’indépendance économique et artistique. Cette nouvelle manière de faire des films est étroitement liée à une esthétique filmique, déjà présente dans ses premières œuvres, mais qui s'est affirmée alors : une économie de plans, souvent fixes, entrecoupés par des noirs de quelques secondes, le souci du détail, de ce sur quoi on ne porte que rarement notre regard.

Comme une grande fresque du vivant, ses films avancent et se répondent ; autant de correspondances possibles que de plans, que de films, que de tableaux, et même si Christophe Loizillon guide le spectateur d’une toile à une autre à travers son œuvre, celui-ci reste libre de s’y promener et d’y tresser sa propre odyssée.

En ce qui concerne le format de long métrage, Christophe Loizillon ne s'y est adonné qu'à deux reprises, pour Le silence de Rak (1997), avec François Cluzet, et pour Ma caméra et moi, avec Julie Gayet et Zinedine Soualem (2002).

Critique

Pour ceux qui identifient Christophe Loizillon à son art du plan-séquence, à son formalisme sophistiqué souvent à la lisière de la fiction et du documentaire, Lieux communs procurera le sentiment d’un dépaysement, tant il est fondé sur un montage syncopé, et d’une remontée vers les débuts cinématographiques de cette grande figure prolifique, inspirée et inspirante du court métrage français. Ce film bref de moins de neuf minutes nous propose un saisissant inventaire des comportements de l’homo touristicus, particulièrement actif – pour ne pas dire déchaîné – dans les environs de la cathédrale Notre-Dame de Paris, haut-lieu de cette peuplade pourvue d’attributs tels que l'appareil photographique ou le guide touristique.

Lieux communs renvoie à l’avant-garde cinématographique des années 1920, à ces études par le cinéma d’un lieu, de ses rythmes, de sa chorégraphie. Ce n’est pas sans doute pas un hasard que Lieux communs débute par un œil en très gros plan, référence probable aux kinoks (“ciné-œils”) vertoviens, et à L’homme à la caméra. Que Notre-Dame se retrouve cul par-dessus tête fait penser au renversement de l’ancien monde, que Vertov formule quand le théâtre de Bolchoï – symbole de la tradition – est fendu en deux par un trucage en surimpression. Christophe Loizillon se rattache ici à la croyance dans la capacité de la caméra à voir mieux que l’œil humain comme l'avait théorisé Vertov : elle est un outil pour voir, traduire et interpréter le monde. Le montage a une fonction à la fois poétique et analytique, à coups de télescopages, de mises en rapport, d’accélérations et de ruptures de rythme. 

C'est aussi un cinéma dont le sujet est le cinéma et l’image, dans une perspective critique. Même si Christophe Loizillon ne tourne pas le dos à la drôlerie, à une forme ludique et non froidement théorique, dans la mise en scène, mais aussi par un délicieux commentaire, qui à un moment nous dit ceci : “Pour ma part, plutôt que le côté phallique, je vois plutôt le corps d’une femme. Ce genre de grands espaces, ce sont plutôt des espaces horizontaux, de pénétration, qui s'appellent tous Notre-Dame (...).Lieux communs tire sans doute une part de son inspiration de Guy Debord et de La société du spectacle, dont on rappelle la toute première phrase : “Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles.” L’expérience du monde ne passe plus que par des médiations, des filtres normés, stéréotypés, le tourisme étant généreux en la matière. Cette évocation du début des années 1980 donne à un voir une patine rétro – assez délicieuse –, mais, sans même attendre les hordes touristiques promises par les prochains Jeux olympiques, elle nous parle bien sûr de notre présent.

Arnaud Hée

Réalisation et scénario : Christophe Loizillon. Image : Bertrand Chatry. Montage : Christophe Loizillon et Thierry Derocles. Son : Henri-Claude Mariani. Musique originale : Guillaume Loizillon. Production : Les Films du Lagon bleu.

À retrouver dans

Thématiques