Extrait
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Avaler des couleuvres

Jan Sitta

2017 - 19 minutes

France - Fiction

Production : Takami Productions

synopsis

Son CAP tout juste en poche, Souad décroche son premier emploi dans un salon de beauté. La chance semble lui sourire…

Jan Sitta

Jan Sitta est né à Niceen 1976. Après avoir suivi une formation de comédien à l'École régionale d'acteurs de Cannes (ERACM), en parallèle d'études en sciences politiques, il intègre l'ESAV (École nationale supérieure d'audiovisuel), à Toulouse, et y obtient un diplôme en réalisation. 

Comédien dans plusieurs compagnies de la Région PACA, il joue dans une trentaine de pièces et monte sur les planches du Théâtre national de Nice ou celles du Théâtre 13, à Paris. En tant que réalisateur, il réalise tour à tour des documentaires et des fictions. Terre natale, son premier documentaire, revient en 2008 sur le passé de son grand-père, contraint de fuir son pays, la Tchécoslovaquie, en 1948.

Désireux d'allier sa passion pour le théâtre au cinéma, Jan Sitta travaille pendant plus de cinq ans en tant que vidéaste et comédien avec la comédienne dramaturge Nicole Charpail. Dans ces ateliers du Théâtre de l'Opprimé, ouverts à des personnes en difficulté de vie, il réalise le documentaire Devenir acteur de sa vie ? et conçoit toute une série d'installations sonores et visuelles dans le cadre du spectacle Miss Griff Mess et Travaux publics.

Cette expérience aux côtés de personnes en situation de précarité le pousse à écrire son premier court métrage de fiction, Ceux qui restent debout (2013) : l'errance socio-fantastique d'une jeune fille à la rue. Le film sera sélectionné dans une vingtaine de festivals nationaux et internationaux et obtiendra plusieurs prix à Côré court, à Pantin, à Premiers plans, à Angers, ou à Court métrange, à Rennes.

Avec Avaler des couleuvres, à nouveau produit par Takami Productions, Jan Sitta poursuit dans cette veine en 2017. Le film, présélectionné pour les César 2019, est montré dans de nombreux festivals nationaux et internationaux : Palm Springs, Rhode Island, Hof (Allemagne), La Ciotat, Angers, Cinémed, Moulins, Mamers, Aubagne, Grenoble (où il a obtenu le Prix Unifrance et la Coupe Juliet-Berto), etc.

Pour la télévision, Jan Sitta a écrit plusieurs épisodes de la série La vie est à nous diffusée sur TF1 (2010) et réalisé des documentaires pour France Télévisions : Des couturières sur le fil (2015), la collection “Premier vote” (2017), Lumières sur Lyon (2019), Un rêve de cinéma (2021), etc.

En parallèle, il travaille sur le développement de deux projets de premier long métrage. 

Critique

Dans les rues d’Angers, la jeune Souad rayonne après son entretien d’embauche. Elle vient de décrocher un premier CDD de quatre mois dans le salon de beauté le plus chic de la ville. Cependant, sa joie sera de courte durée lorsque sa patronne, pour “éviter bien des soucis”, lui impose de se présenter aux clientes sous le prénom de Jessica.

Jan Sitta, lui-même issu de l’immigration (d’origine tchèque en l’occurrence), apporte une perspective personnelle à ce récit et offre une plongée dans les complexités du racisme ordinaire. Lyna Khoudri, dans l’un de ses premiers rôles (au moment de son Prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise en 2017 pour Les bienheureux, de Sofia Djama, et avant son César du meilleur espoir féminin en 2020 pour Papicha, de Mounia Meddour), incarne avec sensibilité le dilemme auquel est confronté son personnage, tentant de digérer l’humiliation infligée par sa patronne. Cette dernière, interprétée par Astrid Adverbe, campe avec justesse le rôle de la bourgeoise aveuglée par ses propres privilèges, refusant de se remettre en question – “Ça se fait beaucoup, vous savez…”, se justifie-t-elle.

L’expression “avaler des couleuvres” prend alors tout son sens et devient le symbole de ces compromis que beaucoup sont contraints d’accepter pour trouver leur place. En évitant les simplifications et les clichés, le film enchaine quelques répliques percutantes : “Jessica, c’est pas un prénom de pute américaine, ça ?”, s’exaspère Souad. Le réalisateur compose en quelques scènes un personnage attachant qui ne se révolte pas ouvertement, mais qui affronte cette injustice dans une résilience silencieuse qui réaffirme son intégrité et son droit d’exister pleinement.

Le récit, ancré dans une ville de province, donne une crédibilité palpable à ces étapes de l’exclusion. Que ce soit dans le sentiment d’appartenance au monde lors d’une première expérience professionnelle, le ressentiment face à l’injustice, la colère qui en découle, ou encore la honte générée par le regard des autres : tout est habilement tissé dans ce tableau.

Dans le décor aseptisé du salon, le visage revient comme un symbole récurrent : le masque blanc que Souad applique à sa cliente devient métaphorique, représentant l’effacement de son identité au profit de celle que la société attend d’elle. De même, la scène où elle déforme son propre visage révèle la dualité de ses pensées et la complexité de son être. Jan Sitta explore ainsi le combat intérieur de celles et ceux qui subissent des préjudices, et comment ils ou elles résistent face à ces défis.

Léa Drevon

Réalisation : Jan Sitta. Scénario : Jan Sitta et Julie Galopin. Image : Aurélien Py. Montage : Julie Lena. Son : Nicolas Waschkowski, Agathe Poche, Édouard Morin. Musique originale : Alexander Zekke. Interprétation : Lyna Khoudri, Astrid Adverbe, Soumaye Bocoum et Lula Cotton Frapier. Production : Takami Productions.

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