News 11/12/2018

“Quand je marche dans la rue, je suis James Coburn” : rencontre avec Philippe Rebbot

Figure familière du cinéma français autant grâce au court qu’au long métrage, Philippe Rebbot a encore élargi sa popularité avec “L’amour flou”, succès-surprise de l’automne, qu’il a coréalisé en compagnie de son “ex”, Romane Bohringer. À l’occasion du focus que nous avions depuis longtemps l’envie de lui dédier sur Brefcinema (composé de trois courts métrages), nous l’avons croisé dans son fief, au cœur de Montreuil, la casquette vissé sur la tête et flanqué de son fidèle compagnon canin... en effet odorant !

Comment réagissez-vous au succès, tant critique que public, de L’amour flou ?

On n’aurait jamais pu s’attendre à ça ! Et ce qui est important, c’est que la réussite ne se mesure pas seulement par rapport au nombre de spectateurs, mais encore plus à la façon dont le film a “chopé” les gens. C’est fou qu’il en ait touché autant, que le bouche à oreille ait été aussi dingue. Et c’est une vraie surprise, car on n’avait aucune ambition particulière au départ, à part celle de le faire ! Mais à aucun moment on a pensé que ça pouvait aller jusque-là. Pour la première présentation en festival, à Angoulême, on était seulement content d’être là, puis de constater que les gens aimaient bien le film. Mais ça a continué avec la deuxième projection, et ainsi de suite, et on a eu le Prix du public.

L’amour flou a même intégré récemment la shortlist pour le Prix Louis-Delluc du premier film !

Oui, et tout le monde se dit qu’on ne l’aura pas, c’est normal, car il y a aussi Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin, entre autres, à défendre. Mais pourquoi pas, finalement ? Il manquerait plus qu’on ait un Oscar... Comme Cousin, cousine, de Jean-Charles Tacchella : qui aurait dit qu’il en aurait un ? Ce sont des films de même calibre, avec un certain charme, je dirais.

On imagine qu’en entreprenant le film, vous pensiez d’abord et avant tout à ce que certains se sentent concernés par la situation qu’il décrit ?

Ça ne va même pas jusque-là ! Nous avions envie de faire du cinéma comme un jeu et puisque nous avions des copains dans le même cas, pourquoi ne pas faire un film avec eux sur ce point de départ ? Et on a jugé que c’était une bonne idée pour une comédie. Après, je disais à Romane que c’était un film pour enfants et qu’on atteindrait peut-être gentiment les 10 000 entrées. C’est toujours une blague entre nous, car on a finalement dépassé la barre des 180 000. C’est plutôt agréable, mais ce qui me touche le plus, c’est que les gens ne me disent pas “bravo”, mais “merci” ! Je vois bien la différence en tant qu’acteur, car j’ai fait plein de films pour lesquels les gens me croisent dans la rue en me félicitant, mais un merci, ce n’est pas la même chose, ça prolonge la discussion, on m’explique pourquoi... Je crois que nous sommes devenus, Romane et moi, des spécialistes de la séparation douce !

Ce succès, du coup, vous donne-t-il envie de continuer à être réalisateur, de temps en temps, ou alors ce ne sera qu’un “one shot” ?

Pour moi, ça restera ponctuel. Et puis il faut reconnaître que la vraie réalisatrice, c’est Romane. Et comme on habite côte à côte et qu’elle m’aime bien, je suis devenu une sorte d’éminence grise, non pas de la réalisation, mais surtout de la tournée du film. Très vite, j’en ai surtout été l’acteur principal et je la laissais faire avec Bertrand Mouly, le chef-opérateur, parce qu’honnêtement, je n’ai aucune vision de réalisateur. En revanche, j’ai vraiment découvert en Romane à la fois un talent d’écriture et une véritable envie d’être réalisatrice.

Vous aviez cependant coréalisé un court métrage, avec Gérald Faro, En un clin d’œil, au tout début de votre carrière d’acteur, en 1998...

Et c’est une casserole ! Je commençais à l’époque à être intermittent – j’ai débuté assez tard, vers trente ans, comme régisseur ou même stagiaire-régie. J’étais en colocation avec un copain, qui était artiste-peintre, et on écrivait un peu, on faisait des petits trucs... Et moi, sur des plateaux, je me suis lié d’amitié avec des techniciens et on me disait “Toi, tu devrais écrire...” On a donc fait un premier court comme ça, très maladroitement parce qu’on n’était pas fait pour ça... C’était aussi la première fois que je jouais dans un film. Et si le film fini n’est pas honteux, il n’a aucun intérêt, à part celui de l’avoir fait et de dire à mon pote de laisser tomber !

À quel moment les choses ont-elles basculé pour abandonner la régie et devenir pleinement acteur ?

Le “switch” s’est fait avec ¿ Donde esta Kim Basinger ? d’Édouard Deluc (photo ci-contre). Le film s’est retrouvé aux César, un agent m’a démarché et m’a dit que j’étais un acteur – bon, il pensait que j’étais belge et que c’est pour ça qu’on ne me connaissait pas... Je croyais que ça s’arrêterait là, mais j’ai fait ensuite Mariage à Mendoza avec Édouard, qui était son premier long, et maintenant, je ne peux plus revenir en arrière !

Mais vous n’aviez jamais vraiment eu auparavant le désir d’être acteur, ni la conscience d’avoir un potentiel à cet égard ?

Non, pas du tout. Je n’y avais jamais pensé, même si dans le fond, je voulais devenir un héros. Un héros de cinéma. Je repense à l’un des premiers films que j’ai vus, Il était une fois la Révolution, de Sergio Leone, avec James Coburn, hé bien voilà, je voulais devenir James Coburn, mais pas acteur ! Et puis après, à mon grand étonnement, je fais des rencontres, j’ai aimé certains projets sur lesquels je me suis engagé, et voilà...  Pour moi, c’est ce qui est important et qui me fait continuer ; je m’enrichis de toutes ces rencontres, avec des jeunes gens de vingt-cinq ans, sur des courts métrages, comme avec des réalisateurs plus expérimentés.

Avoir tellement œuvré dans le format de court métrage vient donc du fait que ceux que vous côtoyiez en faisaient, et c’est donc un peu un hasard...

Oui, un pur hasard. J’y ai pris goût en même temps que je prenais goût au métier d’acteur, en trouvant à la fois de petits rôles sur des longs et de grands rôles sur des courts !

Comme vous avez fait une vingtaine de courts depuis 2012 et une cinquantaine de longs métrages au total, on suppose que vous êtes de plus en plus sollicité…

Tout ça va sans doute se réduire, car mes rôles dans les longs métrages sont de plus en plus importants et cela me prend toujours plus de temps. Je crois donc que ma disponibilité pour le court métrage va s’émousser. Ceci dit, je viens d’en finir un et j’en referai probablement un autre en mars-avril 2019. Je ne voudrais pas lâcher ça, car j’aime découvrir des gens et leurs univers.

J’ai fait des films moins réussis que d’autres, mais j’aime toujours l’énergie du court métrage. J’en ai fait un récemment qui était très ambitieux, Icare (photo ci-contre) avec un jeune réalisateur belge, Nicolas Boucart. Mais j’en ai fait d’autres beaucoup plus “étroits” et tant que je peux en faire, j’en fais. Quand on me sollicite, je dis toujours : “Envoie-le moi...” Et si je suis libre, on y arrive...

N’y a-t-il pas maintenant un risque que l’on vous propose des rôles que vous avez déjà faits, d’être cantonné à un certain emploi, burlesque et/ou lunaire ?

Non, je ne pense pas être enfermé là-dedans, c’est juste qu’on n’échappe pas à sa nature. Mais j’en viens peu à peu au drame, car mon personnage flirte en fait souvent avec le tragique.

Dans le prochain film d’Édouard Deluc, Temps de chien (un unitaire pour Arte, NDR), mon personnage se fait virer, s’éteint dans l’alcool, mais c’est une comédie, dans le style des Apprentis de Salvadori. En revanche, ce qu’on ne m’a jamais fait faire, c’est le mec “efficace” ! Rien que ma façon de me déplacer ne l’est pas et on se dit forcément en me voyant : “Ce gars-là, sa force n’est pas dans l’efficacité...” Mais je veux bien essayer, si quelqu’un qui veut prendre le risque, ce que je ne crois pas...

Vous jouez quand même un chef d’entreprise dans Waterfountain !

Oui, mais ça reste un chef d’entreprise un peu borderline, qui fabrique des caddies ; on ne sent pas le “gros patron” ! Pour la séquence au téléphone avec son fils, le petit garçon m’a fait pleurer ! Je ne sais pas si les prises ont été gardées, mais cette séquence m’a vraiment fait chialer et je me disais : “Mais qu’est ce qui m’arrive ?” 

Parmi les courts métrages où vous êtes apparu, certains témoignent aussi d’une certaine étrangeté, comme Waterfountain, qui a aussi un côté angoissant, ou La femme qui flottait (photo ci-contre)...

Oui, ou encore Tennis Elbow, qui est un peu touchy sur la colère. C’est vrai, je n’avais jamais vraiment réfléchi à ça. Mais ça ne m’étonne guère, parce qu’à force d’en parler, je me demande si je ne suis pas en réalité un être de fiction plutôt qu’un acteur. Je me rends compte que je suis avant tout un “personnage”.

Mon “grand maître”, c'est Patrick Dewaere et quand je voyais ses films, je me demandais comment il marcherait dans la rue, par exemple, dans la réalité. Et maintenant, je me demande comment il aborderait les rôles que je dois interpréter...

Sentez-vous beaucoup de différences, dans votre propre façon d’approcher le jeu, sur un tournage, par rapport à l’époque de vos débuts, comme par exemple dans J’attends Daniel pour peindre ?

Ah, justement, c’est sur ce film que Nathalie Donnini, qui est une amie d’enfance, m’a dit pour la première fois qu’il y avait un acteur en moi – et, plus encore, un acteur burlesque. Moi, je n’y croyais pas du tout à l’époque, j’étais encore régisseur et tout était un peu flou.

En fait, pour répondre à la question, ce métier ne me fait pas que du bien, car chaque fois est pour moi comme une première fois : je n’ai aucun acquis et même quand je suis plus en confort, comme avec Édouard Deluc, qui me connaît par cœur et qui arrive à me “porter”, je ne suis jamais tranquille ; chaque nouvelle prise est une source de stress. Mais tant mieux, en un sens, que cela soit ainsi, sinon c’est peut-être là où on s’embourgeoise et qu’on commence à se dire : “Ça, je sais faire.”

Avez-vous parfois des propositions de “grosses comédies”, en dehors du champ du cinéma d’auteur ?

Non, et c’est justement une chance, car je pense que je ne suis pas fait pour ça, j’y serais très mauvais. Pour l’instant, je n’ai heureusement jamais eu ce dilemme à affronter, ce que j’ai fait de plus “industriel”, c’était Bon rétablissement, avec Jean Becker, et c’est comme si c’était mon grand-père, il m’a laissé évoluer dans mon “incertitude”.

Ces derniers temps, que ce soit dans L’amour flou, avec vos propres enfants, ou dans des courts métrages, comme Icare ou Tennis Elbow, vous avez souvent joué des pères...

Et aussi dans Les bigorneaux d’Alice Vial ! Oui, il y a cela dans ma nature, je dois bien le constater. Et dans le dernier court que j’ai tourné, Kilt de Pauline Devi, je suis le papa d’un ado. Et puis, dans Le petit locataire, de Nadège Loiseau (photo ci-dessus), j’étais à la fois grand-père et père d’un bébé... Mais j’adore l'être dans la vraie vie, j’adore les gosses, c’est mon “personnage” !

Dans Tennis Elbow, il s’agit d’une figure paternelle plutôt autoritaire…

C’est un père qui ne veut pas lâcher son enfant et il s’énerve en découvrant qu’il doit lâcher quelque chose, ce qui m’a d’ailleurs beaucoup intéressé. Moi, j’ai la chance d’avoir des enfants en bas âge et je ne vais jamais me retrouver en rivalité avec eux ; quand ils auront 20 ans, j’en aurai 70, j’aurai évité ces problèmes de compétition. Sur le moment, on n’a pas intellectualisé tout ça, c’est juste qu’il est plus facile de trouver ce qui se joue dans une telle relation quand on est père. Je me rends compte que les émotions que je trouve le plus facilement dans les films, c’est quand j’incarne un père.

Dans 100 kilos d’étoiles, le premier long métrage de Marie-Sophie Chambon qui va sortir en 2019, c’est un peu particulier, et très beau, parce que mon personnage est marié à une obèse, sa fille est obèse, mais il ne les voit pas comme ça ; il les aime et ne comprend pas leur souffrance. J’espère que ce sera un beau film. Je ne le verrai pas, puisque je ne vois jamais les films où je joue, mais j’irai le défendre...

Vous ne voyez jamais vos films ?!?

Non, je ne pourrai jamais me réconcilier avec mon image. Je ne veux garder de moi que l’idée que quand je marche dans la rue, je suis James Coburn...

Dans quels autres films vous verra-t-on en 2019 ?

Le premier long métrage de Christophe Le Masne, Moi, maman, ma mère et moi, sortira le 13 février. Et puis ma première série télé, Vernon Subutex (d’après Virginie Despentes, NDR) Et donc côté court métrage, Kilt, dont le tournage vient d’avoir lieu. Et dans le suivant que je ferai, avec Paul Calori et Kostia Agut, je serai un mec à qui on offre un col roulé et qui vit un enfer avec ce pull dans une cabine d’essayage, ça touche un peu à la danse contemporaine. C’est-à-dire que mon corps va avoir une vie propre et ça rejoint cette étrangeté qu’on évoquait tout à l’heure. On a déjà fait des essais et je me suis bien marré.

Et c’est encore quelque chose de nouveau pour vous...

Oui, bien sûr, mais encore une fois, le jour où on n’a plus de curiosité dans ce métier, on meurt. Ce n’est jamais grave de rater quoi que ce soit ; ce qui l’est serait d’être un usurpateur, de ne se fabriquer que du “sur-mesure”.

Propos recueillis par Christophe Chauville et retranscrits avec le concours de Solène Durman

 


Waterfountain
de Jules Follet, J'attends Daniel pour peindre de Nathalie Donnini, La femme qui flottait de Thibault Lang-Willar et Tennis Elbow de Vital Philippot (photo ci-contre) sont visibles en ligne sur Brefcinema dans le cadre d'un focus dédié à Philippe Rebbot à partir du 12 décembre 2018.