News 08/04/2019

“Les origines populaires du cinéma d’avant-garde” à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, à Paris

Pour célébrer la sortie du livre de Patrick de Haas “Cinéma absolu. Avant-garde 1920-1930”, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé programme, avec le concours du Centre Pompidou, une vingtaine de séances de courts métrages expérimentaux, populaires, comiques, surprenants, du 9 au 30 avril.

L’avant-garde cinématographique a, essentiellement, deux origines : la volonté des plasticiens de dépasser leur discipline (peinture, sculpture) en y adjoignant la vitesse, celle du film (dont Ballet mécanique, de Fernand Léger et Dudley Murphy, est un des exemples les plus brillants, 1924, à voir le 10), et la fréquentation des cinémas de quartier qui diffusent des films comiques ou des serials (les surréalistes en seront très friands, notamment en devenant les spectateurs compulsifs des Vampires de Louis Feuillade, 1915, programmé le 10 également) qui transgressent le réalisme petit-bourgeois au profit du rêve et de la subversion sociale.

Ce riche panorama n’est pas qu’une illustration des préoccupations des cinéastes, acteurs et théoriciens des avant-gardes des années 1920, mais se prolonge, grâce à la connaissance que nous avons de ce domaine aujourd’hui, avec des films retrouvés, des films scientifiques et une ouverture vers le cinéma underground américain des années 1950 et 1960.

La programmation est divisée en dix-neuf “chapitres” mélangeant, en général, films populaires anciens, films expérimentaux des années 1920 et ultérieures, films scientifiques (pour prendre cette notion d’expérimentation au pied de la lettre : ainsi en va-t-il du programme “La Terre vue du ciel”, le 9) qui mélange les fantasmagories début de siècle de Secundo de Chomón avec des prises de vues scientifiques de Audoin Dollfus. “Métamorphoses” (le 19) est constitué d’un patchwork particulièrement réjouissant qui mêle Métamorphoses du papillon de Gaston Velle (1904), Hyas et Sténorinques de Jean Painlevé (1929), cinéaste animalier un brin surréalisant, et Felix Goes West (1924) du pionnier américain de l’animation Pat Sullivan, et s’achève par l’animation déjantée de Robert Breer A Man and his Dog Out for Air (1957).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Côté cinéma populaire, on peut découvrir les films de (ou avec) Roméo Bosetti (Calino arroseur public, 1910), André Deed (Boireau à l’école1907), Jean Durand (Onésime débute au théâtre, 1913) ou Gaston Ravel (Des pieds et des mains1915) – ce dernier court métrage s’inscrit dans le programme “Le corps dans tous ses états !” (le 13) : on peut parier que certains de ces films ont dû marquer le jeune Artaud tant les corps s’y déforment. Le grand Georges Méliès est également de la fête avec L’homme à la tête de caoutchouc (1901) dans un programme dédié à l'Entr’acte de René Clair (1924), à qui la Cinémathèque française rend par ailleurs hommage en ce mois d’avril (le 23). Cette partie de la programmation met en avant les films de l’école burlesque française des années 1910, aujourd’hui bien oubliée au profit de ses célèbres cousins d’outre-Atlantique.

Côté avant-garde, la plupart des ténors de la période sont présents : László Moholy-Nagy (Lichtspiel Schwarz-Weiss-Grau1930, le 9), Len Lye (Tusavala1929, le 19)Mechanical Principles (Ralph Steiner, 1930, le 30), Impatience (Charles Dekeukeleire1928, le 30), Man Ray (Le retour à la raison1923), Henri Chomette (Jeux de reflets et de vitesses1923)Paul Strand, Charles Sheeler (Manhatta, 1921), Eugene Deslaw (Nuits électriques, 1928)… Ces trois derniers films figurent dans le programme “Ville moderne” (le 9) et, enfin, last but not least : Luis Buñuel (Un chien andalou, 1929, le 13). Il y a toujours des spectateurs qui ne l’ont pas vu...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


À côté de ces démarches expérimentales artisanales, souvent financées par des mécènes, s’est développée une avant-garde nationale, l’École soviétique, dont un spécimen rare et revigorant nous est proposé : Le manteau de Gregori Kozintsev et Leonid Trauberg (1926), qui sera disséqué le 17 par l’historien François Albéra.

Le conservateur Philippe-Alain Michaud, chargé des collections films au Centre Pompidou, présentera de nombreuses séances : “La grande parade” (le 17), “Cinéma liquide” (le 20), “Flaming Creatures” et “Machines désirantes” (le 30), “Ville moderne” (le 9). Il a aussi prolongé cette rétrospective avec des œuvres provenant de la collection du Centre Pompidou, soit des films expérimentaux américains plus contemporains : Meshes of the Afternoon (Maya Deren, 1943, le 23), Flaming Creatures (Jack Smith, 1963, le 30), Kustom KarKommandos (Kenneth Anger, 1965, le 30) ou encore le fabuleux film d’animation psychique de Harry Smith Heaven and Earth Magic (1961, le 16, présenté par Jonathan Pouthier, également du Centre Pompidou).

Évidemment, ce panorama constitue avant tout une programmation ludique. Le plaisir des yeux (et des oreilles : toutes les séances de films muets sont accompagnées au piano) prime, mais l’aspect pédagogique se glisse aussi sans crier gare et un détour par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé s’impose.

Raphaël Bassan

Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, 73 avenue des Gobelins, 75013 Paris.