News 24/04/2019

L’année du cygne : rencontre avec Swann Arlaud

Le jeu de mots peut sembler facile, puisque son prénom correspond au mot “cygne” en anglais, mais Swann Arlaud, devenu un comédien majeur de sa génération et omniprésent au cinéma en 2019, ne se trouva, longtemps, “pas bon” à l’écran. Aujourd’hui, la mue s’est définitivement produite et un focus s’imposait autour de celui qui s’est à nouveau distingué avec “Grâce à Dieu” de François Ozon et qui est aussi un habitué du court métrage, y compris en tant que réalisateur depuis peu.

Comment est arrivé ce passage derrière la caméra et pourquoi à ce moment-là de votre carrière ? Qu’est-ce qui a constitué le déclic pour passer d’acteur à réalisateur ?

Je voulais déjà faire des films quand j’étais adolescent. Je n’avais alors, par contre, jamais pensé à jouer dans des films. J’ai certes fait un film dès l’âge de 9 ans, La révolte des enfants de Gérard Poitou-Weber, mais je n’ai rien fait ensuite et n’ai vraiment commencé que vers 19 ou 20 ans. Le désir de fabriquer était donc là avant le désir du jeu. Et finalement, j’ai beaucoup appris sur les tournages où, entre deux prises, on attend et on regarde ce qui se passe. Et comme je viens d’une famille de techniciens, j’ai toujours fréquenté les plateaux, c’est un endroit où je me suis toujours senti bien…
Mais je pense qu’il m’a fallu du temps avant de me sentir capable de passer à la réalisation et Venerman est d’abord une histoire de famille : tout est parti d’une phrase prononcée par mon petit frère Tobias Nuytten qui, traversant sa crise d’adolescence, avait un problème de légitimité face à certaines injustices et se demandait : “Comment, en étant un “petit Blanc” et un bourgeois, ma révolte pourrait-elle être crédible ?” Il y avait quelque chose de cet ordre-là, même si ce n’était pas formulé exactement comme ça – c’était plutôt : “Je voudrais être noir” !
Nous sommes est donc partis de là, avec notre mère, Tatiana Vialle, en trouvant qu’il y avait quelque chose de très drôle et en même temps d’assez touchant – et un peu politique, aussi – sur la question de l’inégalité des chances chez les jeunes d’aujourd’hui. L’écriture du film s’est donc faite sur cette base autobiographique familiale.


Venerman, de Tatiana Vialle et Swann Arlaud (2017).

 

 

 

 

 

 

 



Tobias y a t-il participé lui-même ?

On lui a montré de premières versions de l’histoire et le personnage lui est apparu très antipathique : même si on utilisait ce qu’il avait réellement dit, il trouvait que c’était un petit con ! On a donc changé le point de vue pour celui du personnage, sans se placer à distance de lui ou s’en moquer. C’est en ce sens que Tobias a participé à l’écriture.
Puis le personnage du grand frère est arrivé, au fur et à mesure, car je me suis rendu compte qu’on décrivait un personnage qui était peut-être le même, à deux âges différents. Il m’a fallu très vite me rendre à l’évidence : le récit était très inspiré de moi, car j’avais aussi fait du rap avec une telle quête d’identité et une révolte très forte. J’ai pris aussi conscience de cet écho sur la désillusion des trentenaires : que faire aujourd’hui lorsqu’on est révolté par les choses qui se passent, par ceux qui nous gouvernent ? Comment s’implique-t-on et de quelle manière ? Je pense faire partie d’une génération totalement apolitique, mais qui est en train de se “repolitiser”. On le voit à travers le mouvement des Gilets jaunes : des gens se mettent à lire la Constitution, à se poser des questions qu’ils ne se posaient pas avant. Mais pour beaucoup, c’est passé par une désillusion assez forte et surtout des petits arrangements avec la société, puisqu’il faut bien vivre et gagner sa vie.

On imagine qu’en faisant ce métier, vous n’avez pas ce désenchantement ou cette impression de renoncement que pourrait avoir votre personnage de bibliothécaire…

Ce personnage n’est pas du tout moi, en effet ! Et si j’ai pensé à un ami qui travaille dans une bibliothèque, celui-ci y est très heureux… Mais il y avait un reflet intéressant à montrer entre deux âges : finalement, que fait-on de la révolte que l’on avait à quinze ans ? C’est ce qui nous a amené à faire ce film, toujours dans un esprit d’entreprise familiale. La mère de mon fils, Sarah Boutin, a signé l’image du film ; mon autre frère, Barnabé Nuytten, en a composé la musique… Il y avait un enjeu très important pour moi : j’avais envie de filmer du rap et que ce soit bien – et audible, aussi, pour ceux qui n’aiment pas cette musique. Le rap a vraiment fait partie de ma vie pendant des années et comme je suis passé à autre chose, j’avais envie que cela existe d’une manière ou d’une autre.Il fallait que quelque chose éclaire l’intériorité du personnage. C’était un enjeu assez délicat et j’ai l’impression qu’on a réussi sur ce point. 


Petit paysan d'Hubert Charuel (2017).

 

 

 

 

 

 

 

 

 


La problématique de la transmission, en faisant ce film avec votre mère et vos demi-frères, a l’air importante pour vous…

Oui, je questionne souvent cette dimension : à quel endroit peut-elle s’exprimer, est-ce une question de gènes ? Je crois plutôt qu’il s’agit d’un héritage culturel, lié au fait d’avoir entendu parler de films, de livres, de pièces de théâtre... Mon beau-père Bruno Nuytten nous a toujours parlé d’image et de cinéma de manière absolument passionnante. Je pense avoir hérité de tout cela.
À la fin de Venerman, le personnage rencontre une fille qui lui parle de Bukowski. Ce dernier a été pour moi une rencontre forte, je me suis dit que la littérature pouvait être aussi cela et dans cette scène apparaît un lieu possible où s’établira peut-être un lien entre ce que peut signifier le fait d’écrire – du rap ou autre chose – et la littérature. 

Dans Petit paysan, on se retrouvait aussi dans un motif de transmission, non pas culturelle, mais plus concrète, terrienne et symbolique…

C’est quelque chose qui m’a énormément touché dans ma rencontre avec Hubert Charuel. Il y avait une dimension familiale très forte dans son projet et j’ai d’ailleurs noué une véritable relation avec ses parents, son cousin, son grand-père… Généralement, quand je lis un scénario, la question de la passation est une chose qui me touche énormément, c’est vrai…

Quelle a été, sur le plateau de Venerman, la répartition des rôles entre votre mère et vous, puisque vous étiez aussi devant la caméra ?

Ça n’a pas été le plus simple ! J’étais plutôt du côté technique, tout en m’occupant beaucoup de la musique, et Tatiana était plus sur la direction d’acteurs, car je me suis rendu compte que je faisais exactement ce que je ne supporte pas chez certains réalisateurs, à savoir trop parler pour les diriger ! Évidemment, les choses se sont entremêlées, car on fonctionne beaucoup en “ping-pong”. Dès l’écriture d’ailleurs, où on s’envoyait ce qu’on avait écrit en se corrigeant l’un l’autre.
Au final, j’ai quelques regrets sur le film, mais c’est normal : si j’avais fait un film complètement génial, je n’aurais pas besoin d’en faire d’autres !


Gros chagrin
de Céline Devaux (2017).

 

 

 

 

 

 

 

 


La scène chorégraphique à la BPI, au Centre Pompidou, est assez inattendue, comment est-elle venue ? 

Il y avait inévitablement une part de fantastique et d’imaginaire dans ce film dès lors qu’on faisait exister ce double noir du personnage. Et on avait une vague envie de comédie musicale, par instants, puisqu’on voulait filmer de la musique. Mais cette scène ne faisait qu’une seule ligne dans le scénario : Charles est en train d’écrire, met son casque et voit les gens se mettre à danser.
La scène a été un peu compliquée à concevoir, car il y avait peu d’argent sur le film, qui a été fait avec 35 000 euros. Pour la figuration, il a donc fallu compter sur nos amis et sur les réseaux sociaux. On a réussi à faire venir – gracieusement – 60 personnes, qu’on a filmées dans tous les sens avec des tenues différentes ! Et c’est la scène dont je suis le plus satisfait, je la trouve gracieuse et donnant un ton à ce film... Mais, et c’est une grande leçon, on n’avait pas idée a priori de ce qu’on allait filmer…

Aviez-vous déjà vu, en tant qu’acteur, des cinéastes utiliser des accidents heureux ou quelque chose d’imprévu ?

Bien sûr ! François Ozon, par exemple, a une liberté folle, une confiance incroyable en ses acteurs, et un regard bienveillant qui fait que l’on se sent très libre. Tous les accidents sont permis et lui-même peut les provoquer. À un moment, il va dire : “Tiens, embrasse-la…”, ce qui peut être déstabilisant quand on est en pleine prise...
Ces grandes discussions, un peu théoriques, je l’en ai souvent avec mon ami Loïc Barché, avec qui j’ai fait Goliath et, depuis, un autre court métrage, L’aventure atomique, sur les premiers essais nucléaires français en Algérie dans les années 1960. On parle beaucoup de ce qu’est préparer un film, savoir ce qu’on va faire et en même temps être capable, en arrivant sur le plateau, regarder ce qui se passe et ne pas suivre le découpage qu’on a en tête.
Hubert Charuel aussi, pour Petit paysanm’a par moments laissé beaucoup de liberté, notamment avant le tournage. Durant une semaine, je me suis seulement occupé des vaches, car il considérait que c’était une période indispensable pour que les vaches s’habituent à la caméra, que la caméra s’habitue à elles – et moi aux deux ! Et finalement, il reste énormément d’images de cette phase-là dans le film…


Goliath de Loïc Barché (2017).

 

 

 

 

 

 

 

 

Le fait d’avoir fait beaucoup de court métrage en tant qu’acteur vous a t’il permis d’expérimenter certaines choses ?

J’ai toujours considéré un court métrage comme un film à part entière, je ne l’ai jamais envisagé différemment. Et pour moi, c’est la même chose que pour un long. Sans compter qu’il y a beaucoup de longs où l’on travaille très peu de jours et, à l’inverse, des courts où on travaille beaucoup… Et les premières fois où j’ai eu des rôles principaux, c’était dans des courts métrages. Comme j’ai d’abord fait pas mal de télé, j’ai commencé à faire des courts alors que je tournais déjà depuis longtemps. Je ne l’ai donc pas pris comme un espace d’expérimentation spécifique, au-delà du fait que c’est toujours un peu le cas sur un tournage, que ce soit sur un long ou un court. 

Recevez-vous beaucoup de projets de courts métrages en tant qu’acteur ?  

Oui, j’en reçois, même si cela devient de plus en plus difficile pour moi d’en faire, à part avec des proches. Je ne sais pas si cela rejoint la question de la passation, mais travailler sur plusieurs films avec quelqu’un, avancer et “grandir” ensemble, me parle beaucoup. Je suis donc toujours mentalement disponible pour le court, qui permet de questionner l’“objet film” différemment, et j’en ferai toujours, jusqu’au bout !


Grâce à Dieu de François Ozon (2019).

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Parmi les films courts où vous êtes apparu, Lazare s’enclenche sur un motif de fratrie que l’on retrouve dans Venerman ou, en un sens, dans Goliath. Sans doute n’est-ce pas un pur hasard…

Quand un scénario me fait vibrer, je ne me pose aucune question de “stratégie”. Je choisis vraiment les films avec le cœur et derrière, un lien peut s’établir d’un film à l’autre, avec des thèmes qui reviennent, comme cette espèce de fragilité masculine dans Alexis Ivanovitch vous êtes mon héros ou dans Grâce à Dieu. Ce sont des choses qui me touchent et qui sont aussi liées à l’époque : pouvoir représenter différemment des figures masculines.

Être associé à une telle fragilité ne vous a jamais dérangé ?

Non, ça me fait plutôt rire, on n’est jamais vraiment conscient de ce qu’on dégage. J’ai appris que j’étais fragile, alors que je pensais être hyper fort (rires) ! En fait, il y a du romantisme derrière tout cela : à travers cette fragilité, il y a toujours une force, comme dans Grâce à Dieu. C’est le personnage le plus heurté, le plus fragile de l’histoire, et en même temps, il a cette violence et cette force en lui. Cet antagonisme m’intéresse, même si j’ai naturellement envie de jouer des choses très différentes.


Alexis Ivanovitch vous êtes mon héros de Guillaume Gouix (2011).

 

 

 

 

 

 


Avez-vous le projet de réaliser à nouveau ? 

Nous sommes en train d’écrire, Tatiana et moi, un autre court métrage. La chance que nous avons eue, c’est que plusieurs personnes nous ont contacté après avoir vu Venerman. Un champ des possibles s’ouvre donc, mais si Année Zéro a envie de produire ce prochain film, on se retrouvera avec joie, car j’ai une grande amitié pour Stéphane Demoustier. Encore une fois, c’est un peu une histoire de famille…
En fait, être comédien est un métier tellement fragile que je ne suis pas certain de vouloir le faire toute ma vie. Je viens de traverser une période à la fois très heureuse, avec le succès et la reconnaissance, et en même temps très lourde à porter, avec les périodes de promotion et une exposition plutôt nouvelle pour moi. Alors pourquoi pas, à un moment, passer vraiment à la réalisation… C’est quelque chose que je vais continuer à faire, à la fois avec Tatiana et peut-être aussi en solo, mais sans aucune urgence ni pression.

Propos recueillis par Christophe Chauville et retranscrits avec le concours de Johanna Ines

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