News 26/12/2019

Du cinéma lunaire : 3 films courts produits par le Grec pour ses 50 ans

Les trois courts métrages produits par le Grec dans le cadre de l’année de son cinquantenaire seront diffusés le 29 décembre à partir de minuit dans l’émission “Histoires courtes” sur France 2.

Le 12 décembre dernier a eu lieu au cinéma Le Nouvel Odéon, à Paris la projection des films produits dans le cadre du programme “3 films pour les 50 ans du Grec”. Le principe de ce cycle est simple : produire trois films réalisés par trois cinéastes, dont l’action se situe à trois différentes époques (1969, 2019 et 2069). De ce projet placé sous les signes combinés de l’hommage et de l’inventivité ont émergé des œuvres pour le moins étonnantes et disparates, traversées pourtant par des énergies similaires. Investissant la fiction ou le documentaire, puisant dans des codes de genres assez divers (portrait intime, comédie romantique, drame social, fable science-fictionnelle), ils creusent trois sillons filmiques qu’on pourrait qualifier d’“atmosphériques”, ayant pour principal point commun de plonger leurs personnages dans un environnement occidental dont l’évidente hostilité se voit, par l’image, déplacer vers une sorte de magie lunaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce rapport à l’environnement passe avant tout par la structure narrative, jouant sur le ressort d’un retour aux sources. Dans Armstrong d’Inès Loizillon (photo ci-dessus), qui conte la journée d’une clique d’adolescents dégingandés dans le Paris fantasmé de 1969, le retour vers les Sixties se double d’un come-back vers un rituel proto-religieux restitué comme anachronique, celui de la prière. Mais ce geste permettra-t-il à l’une des deux filles, une dénommée Françoise, de désamorcer l’angoisse née de la conviction d’être enceinte ? Porté par une grâce dépareillée, ce film-patchwork estival trouve sa principale force dans son rapport aux corps et aux espaces. On pense par exemple au siège de l’Unesco, filmé comme une zone labyrinthique où s’organise une symbolique chasse aux trésors (autant culturelle que sentimentale). La réalisatrice, en outre, parvient à conjurer la nostalgie par la mélancolie, passant de la sécheresse bétonnée des murs à la langueur suave des caresses furtives.

Dans Midnight Kids, Maxence Vassilyevitch (photo ci-dessous) propose une exploration hivernale, et parfois glaçante, d’une autre zone (reculée, celle-là) de l’Occident : Utqiagvik, un village d’Alaska. Les images de gazoducs, fascinants tuyaux par lequel le film s’ouvre, autant de symboles de la mainmise américaine sur les populations autochtones d’Inuits, offre le signe littéral d’un forage, plus précisément d’une volonté de comprendre les causes tragiquement industrielles d’un désespoir existentiel. Engoncée dans l’atmosphère grisâtre de ce territoire aussi vaste que refermé sur lui-même, le film trouble par l’errance sordide dont il semble lui-même le prisonnier, oscillant entre portrait individuel et fresque sociale. Le rapport à l’environnement touche ici à la mythologie, notamment à l’occasion d’une séquence majestueuse où l’on voit un habitant esseulé qui erre pendant qu’un poème traditionnel émane en voix-off.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’aspect proprement environnemental est peut-être le plus manifeste dans le film de Xavier Delagnes On a marché sur la terre (photo de bandeau). Surplombée par la présence irréductible mais lointaine de la Lune (motif qu’on retrouve d’ailleurs dans les deux autres opus du programme), la trajectoire science-fictionnelle des deux personnages principaux — un scientifique à la démarche molle et une gaillarde soldate toujours prête à tirer sur la gâchette — a pour objectif la rencontre avec des “Martiens” à l’aspect inconnu. C’est toutefois la flore environnante, et surtout la faune surgissante, qui seront bientôt l’objet de l’attention des protagonistes, autour desquelles rôde d’ailleurs une forte tension sexuelle. Croisant le suspense d’anticipation et le comique de mots, le cinéaste filme un macrocosme qui joue avec les codes du documentaire animalier, posant la question suivante : la Nature serait-elle saisissable uniquement par l’image qu’on s’en fait ? Hypothèse bien citadine que le film tend ironiquement à dépasser.

Transformant l’ambiance des espaces filmés en véritable atmosphères filmiques, les trois films convergent vers un enjeu commun : comment s’approprier le monde (et avec lui, l’histoire, le futur) ? Aucune évidence ne s’impose. Et le cinéma incarne ce laboratoire par lequel s’invente une vision complexe où tout environnement devient douteux, l’objet à la fois d’une mise à distance, indiquant à quel point ni les clichés ni même les catégories scientifiques ne suffisent à le définir, et d’un magnétisme proche de la fascination. Aucune rencontre “naturelle” n’apparaît possible, aucune réconciliation simple, aucune délivrance non plus. Reste juste une réalité dont il faut défaire l’évidence en misant sur la poésie, à l’image du personnage de Glorieuse dans Armstrong qui, sur le toit de l’Observatoire, écrit “Ça remue” dans son carnet, pendant que ses acolytes dorment à ses côtés. Preuves de la vitalité des productions du Grec, ces films donnent un indice quant au futur du cinéma ; c’est en partant des troubles que suscite le regard inquiet vers le ciel et la terre, vers les esprits et les espaces, qu’il pourrait trouver des puissances esthétiques encore inconnues.

Les trois films seront diffusés le 29 décembre à partir de minuit dans l’émission Histoires courtes sur France 2, avant d'être disponibles en replay durant la semaine suivante.

Mathieu Lericq

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- Un entretien avec Anne Luthaud, déléguée générale du Grec.