Livres et revues 07/02/2018

Une relecture du western

Catalogue d’une exposition qui s’est tenue au musée des Beaux-Arts de Montréal jusqu’au 4 février dernier, ce (très) beau livre consacré au western devrait figurer en bonne place dans les propositions de cadeaux de fin d’année. Il recoupe les chapitres de cette exposition et, pour tous ceux qui ne pourront découvrir celle-ci in situ, en donne un bel aperçu par l’abondance des reproductions en double page et les rapprochements visuels opérés par ailleurs.

Les nuées d’Indiens menaçants en surplomb de quelque colline, le corps massif de John Wayne dans l’encadrement de la porte de La prisonnière du désert, Henry Fonda faisant basculer sa chaise en arrière, le pied appuyé sur un des piliers de l’auvent dans La poursuite infernale, le Scope exacerbé de Sergio Leone…, feuilleter ce livre confirme combien l’iconographie de ce genre est ancrée dans nos mémoires au point qu’on oublie parfois que, bien que popularisé par le septième art, cet imaginaire visuel puise dans des représentations de l’Ouest qui ont précédé l’invention du cinéma.

Tom Gunning définit d’emblée les significations multiples, ambivalentes, de l’Ouest américain. “C’est, entre autres, un territoire géographique et géologique réel ; c’est l’accomplissement de la vision rédemptrice de la Nature en Amérique selon Emerson, et les attentes utopiques de possibilités démocratiques ; c’est aussi le lieu d’une destinée manifeste impérialiste d’expansion continentale, d’exploitation extensive des ressources naturelles et de politiques génocidaires contre les Amérindiens ; c’est enfin une approche proto-écologique des espaces sauvages.” Les premiers récits (James Fenimore Cooper, archétype du genre western) se déroulent ainsi dans les Appalaches, dans le nord de l’État de New York, les suivants gagnent d’autres territoires au gré de la conquête des espaces et d’une frontière qui se déplace progressivement vers l’ouest. Gunning se penche ainsi sur un certain nombre de peintures et de photographies de paysages qui épousent ce déplacement géographique et préparent largement la façon dont le cinéma va rendre compte de la conquête de l’Ouest. Jennifer R. Henneman pointe ainsi combien John Ford, inspiré par l’architecture naturelle de Monument Valley dès La chevauchée fantastique (photo ci-dessus), renoue avec les toiles de Thomas Moran (1837-1926).

Des illustrateurs ont aussi jeté les bases de cette iconographie du western et tout particulièrement Frederic Remington (1861-1909), dont l’excellence du trait lui a permis d’accéder à la célébrité quand il a mis son talent au service de la peinture et de la sculpture. Sa maîtrise dans la représentation du mouvement demeure spectaculaire ; on croirait l’image arrêtée d’un film.

L’ouvrage alterne des textes de différentes vitesses, des études un peu fouillées et des articles plus courts pour mettre en avant telle ou telle personne, comme Thomas H. Ince (1880-1924), pionnier du western, qui a réalisé plus de quatre-vingts westerns quand les films ne duraient que le temps d’une bobine. Bien des pages plus loin, en contrepoint d’une photo qui réunit Akira Kurosawa et John Ford sur le tournage de la comédie policière Inspecteur de service, Élodie François relève l’influence du cinéaste japonais pour nombre de réalisateurs américains : John Sturges, Arthur Penn ou Sam Peckinpah, qui reprend dans La horde sauvage, “l’utilisation du ralenti funèbre des Sept samouraïs afin d’étirer le temps de la mort d’un homme”.

L’ensemble, chronologique, ouvre sur la photo qui servit de base à l’affiche de The Gunfighter, de William S. Hart (1917) et s’achève par un entretien avec Quentin Tarantino, suivi de quelques considérations sur la façon dont l’esprit du western demeure vivace. Entre-temps, il aura été question de la maturité du genre après-guerre, de l’évolution de la place des Indiens, de celle de la femme, de l’influence de la contre-culture tant l’évolution de ce genre a épousé celle de la société américaine avant d’emprunter le chemin de la botte italienne.

L’exposition se tenant dans un musée, arrive toujours le moment de suggérer quelques échos avec la peinture. Si on peut être dubitatif à propos du rapprochement proposé avec Jackson Pollock, les autres propositions ouvrent des perspectives fécondes quand sont pointées l’influence déjà évoquée d’artistes du XIXe siècle et les survivances de cette iconographie du western chez Andy Warhol ou dans les sculptures hyper-réalistes de Duane Hanson. C’est un peu de l’âme de l’Amérique qui se joue là.

Jacques Kermabon

Mary-Dailey Desmarais et Thomas Brent Smith (dir.), 
Il était une fois… le western, une mythologie entre art et cinéma
Musée des Beaux-Arts de Montréal, 5 continents, 2017, 40 euros.