Livres et revues 27/06/2019

Un recueil d’entretiens réalisés par Nicolas Saada

Ce livre-somme inédit proposé chez Carlotta constitue un véritable petit événement pour les (nombreux) passionnés des réalisateurs américains phares des années 1980-90.

Le cinéaste Nicolas Saada (EspionsTaj Mahal), dont nous avions beaucoup aimé, à Bref, le moyen métrage Les parallèles (2004), se rappelle à son passé de critique à travers la parution de nombreux entretiens menés pour diverses publications, à commencer évidemment par les Cahiers du cinéma, dont il fut l’un des fers de lance dans les années 1990.

C’est à l’indispensable distributeur et éditeur de DVD Carlotta Films que l’on doit cette belle initiative qui, sans doute ne parlera pas à tous, tant – par les choix opérés, par la période couverte – le parti pris est ouvertement rétrospectif, arrimé à l’époque où furent menés les entretiens : un temps d’avant la bascule numérique, d’avant Internet (ou presque), où l’appréhension des œuvres – les attentes et leur réception – était toute autre qu’aujourd’hui, évidemment.

Mais c’est aussi, justement, l’intérêt de cette compilation de textes que de nous replonger dans un passé pourtant pas si lointain, où s’entremêlent propos visionnaires (l’acuité de David Lynch sur ce que permettra Internet, les intuitions de Francis Ford Coppola sur le matériau-film) et interview de cinéastes-monstres pas encore prisonniers de leur image et du discours promo officiel (James Cameron, rencontré deux fois, longuement, au moment de True Lies, puis de Titanic).

Grand est ainsi le plaisir de lire les uns et les autres – des frères Coen de Fargo au Jarmusch de Dead Man en passant par le Gus Van Sant de l’étrange Psycho – à un moment clé de leur carrière, au gré de discours délestés du regard rétrospectif sur l’œuvre que le temps, naturellement, nous impose aujourd’hui.

Par exemple, si Martin Scorsese est au générique, c’est pour parler dans le détail d’un projet documentaire parallèle, passionnant et faussement mineur, son Voyage à travers le cinéma américain, tandis que la parole sera plutôt laissée à Thelma Schoonmaker, sa monteuse, pour aborder, dans un autre entretien, l’œuvre du cinéaste.

C’est la vraie singularité du livre, justement, que de donner la parole pas seulement aux cinéastes, mais aussi à des scénariste (Diane Johnson sur sa collaboration avec Kubrick, Wesley Strick sur le système d’écriture à Hollywood au début des années 1990) ou à des compositeurs (Angelo Badalamenti, Elmer Bernstein ou Lalo Schiffrin). Bien naturellement, car on sait si on a écouté Radio Nova combien Nicolas Saada sut partager sur les ondes, plusieurs années durant, sa passion pour la musique de films.

On s’attardera aussi particulièrement sur l’entretien sans fards avec Joel Silver qui révolutionna le blockbuster hollywoodien au tournant des années 1980/90 et dont les propos de passionné et de fin cinéphile permettent de mesurer ce qui sans doute, dans le cinéma américain mainstream, s’est perdu depuis.

Bien sûr, on pourra aussi regretter un titre un rien lapidaire, s’interroger sur la cohérence du livre quand s’intercalent, dans un ensemble privilégiant le cinéma américain, des entretiens avec Claude Chabrol ou Wong Kar-Wai (et à vrai dire, on aurait aimé un autre agencement que l’ordre alphabétique…) et regretter, hormis un court entretien introductif avec l’auteur, que les différentes conversations ne soient pas un peu mieux mises en perspective.

Reste que, vingt ans après, le plaisir de relire John Carpenter et Dario Argento devisant, lors de leur toute première rencontre, de leurs filmographies respectives (c’était dans la revue Simulacres de Jean-Baptiste Thoret en 1999 !) suffit bien à justifier l’acquisition de ce livre précieux !

Stéphane Kahn

Questions de cinéma, entretiens et conversations (1989-2001), par Nicolas Saada, Carlotta Films, 288 pages, 15 euros.
Paru le 12 juin 2019.

 

Photo de bandeau : Dead Man de Jim Jarmusch © 1995 12 Gauge Inc.
Le film ressort en version restaurée le 3 juillet 2019 au sein d'une rétrospective de 6 films de Jim Jarmusch (par Les Acacias).