Livres et revues 06/12/2017

Deux cinéastes, un roman de Pierre Delestrade

Un vieux réalisateur de cinéma, César, perd sa femme dans un incendie. Personnage d’une certaine dignité du haut de ses soixante et un ans, Il interroge le passé et le futur et accepte, désœuvré, un poste humble de technicien sur le film d’un jeune réalisateur, Gaëtan, très jeune et à l’un avenir incertain.

Le chêne et le roseau

Comment se peut-il que César, à soixante ans passés, scénariste et metteur en scène accompli, d'une certaine notoriété, programmé à la Cinémathèque autant que cinéphile invétéré, ait accepté l'offre de participer à l'éclosion d'une première œuvre, en qualité – non pas de directeur artistique ou de conseiller spécial – mais en tant que simple clapman ? La fin tragique de son épouse bien-aimée, disparue dans l'éboulement de leur logement, jointe à une certaine précarité de sa vie professionnelle ne sont certes pas étrangers à ce piètre acquiescement. Un collègue parisien s'étonne de son étrange embarquement dans cette galère : il ne s'agit rien de moins que d'une idylle scabreuse entre deux jeunes lesbiennes amoureuses d'un même mâle bisexuel. Son ami, distributeur indépendant, achète des packages américains de films dont un seul sera diffusé à coup sûr. Et puis, il n'aime pas les films des jeunes « dans le vent ». César non plus : « Peut-être avons-nous une jalousie inconsciente envers la jeunesse ». Les temps sont difficiles et il n'a pas plus d'enthousiasme pour la télé1. Être « Cool » est la rengaine favorite du galant Gaëtan, petit coq cavaleur, metteur en scène néophyte et néanmoins très sûr de lui, persuadé de tenir le bon bout.

César s'afflige de son rôle mineur, de ne plus diriger un film avec les comédiens de son choix, ce dont il s'acquittait avec infiniment de tact. Il pense à ses fichiers, à ses contrats perdus dans son immeuble... Le plus heureux, bien que totalement « off », c'est le cafetier du coin. On s'accoude à son bar, en panne de prises de vues à cause d’une météo capricieuse. Le premier jour, le directeur de production a décidé de ne pas faire servir de casse-croûtes mais quinze couverts et du vin. Gaëtan se pavane allègrement en tête de son troupeau, apparemment bien content de côtoyer César, d'avoir le « doyen » machino sous son aile.

Pierre Delestrade2, un vrai cinglé de cinéma – non seulement comme feu (et ce fou de) Jerry Lewis – mais comme ses deux foldingues de héros : ce galopin de Gaëtan (enfant gâté d'ailleurs non dépourvu de savoir-faire) et le vétéran César (un tantinet frustré mais toujours vert).

Delestrade sait de quoi il parle. Cet ancien élève de l'école supérieure d'art graphique de Penninghen (aussi des Gobelins) a plusieurs films de courts métrages (animés et en vues réelles ) à son actif et s'est aguerri dans diverses entreprises (du collectif Martin-Boschet aux Armateurs du maestro Didier Brunner). Il s'adonne actuellement à l'écriture de scénarios de longs métrages.

Michel Roudevitch

 

Pierre Delestrade, Deux cinéastes, Les impliqués éditeur, 2017, 17 euros ou 12,99 euros en version numérique.

 

1. Le septième art ne profitera plus guère de l'aide de Canal + qui dans ses années fastes, préfinançait les films à hauteur de 12,5 %.

2. Un précédent livre de Pierre Delestrade, La belle névrose, plus orienté vers le cinéma d'animation, a paru chez L'Harmattan en 2011.