Festivals 11/07/2018

Theodore Ushev à La Rochelle

Paradis du cinéphile, pour sa 46e édition, le Festival international du film de La Rochelle a mis à l’honneur Theodore Ushev au cœur d’une programmation roborative.

Cette année encore, le Festival international du film de La Rochelle a confirmé la place qu’il occupe dans le cœur des cinéphiles. Où peut-on voir, dans une salle comble de 1000 places, des sommets du septième art, pensés pour le grand écran, comme Persona, d’Ingmar Bergman ou Pickpocket de Robert Bresson ? Les ressorties des copies restaurées, que leur présence à La Rochelle annonce, ne prendront place que dans des petites ou moyennes salles d’art et d’essai à l’exception des projections dans la salle Henri-Langlois de la Cinémathèque française lors des rétrospectives Bresson (4 au 29 juillet 2018) et Bergman (19 septembre - 11 novembre 2018). Et quand bien même, il nous semble déjà connaître ces classiques, les revoir confirme à quel point nous les avions aussi grandement oubliés.

Bresson, Bergman, mais aussi Philippe Faucon, Aki Kaurismäki, Lucrecia Martel, Nick Park ont fait l’objet de rétrospectives lors de cette 46e édition du Festival de La Rochelle qui proposait, en outre, une quarantaine d’avant-premières de films récents (Les âmes mortes, de Wang Bing, En liberté !, de Pierre Salvadori, L’île au trésor, de Guillaume Brac…) et une douzaine d’œuvres anciennes nouvellement restaurées (Hard Eight, 1996, le premier film de Paul Thomas Anderson, inédit en France, du moins en salles, Les camarades, 1963, de Mario Monicelli, avec Marcello Mastroianni, Bernard Blier, François Perrier, Annie Girardot ou encore le plus que recommandable Lieutenant souriant, d’Ernst Lubitsch, jamais présenté sur les écrans français depuis 1931, avec un Maurice Chevalier tel qu’en lui-même, entouré des irrésistibles Claudette Colbert et Miriam Hopkins, en salles le 8 août et à ne pas manquer).

Dans ce panorama, une rétrospective réunissait les principaux courts métrages de Theodore Ushev en une sorte de dialogue à distance avec la douzaine de films bulgares contemporains (dont sept documentaires), proposés par Ralita Assenova et Arnaud Hée pour faire entendre des nouvelles d’une cinématographie en pleine évolution. Theodore Ushev est né en 1968 à Kyustendil, en Bulgarie, où il s’est d’abord fait un nom comme affichiste, illustrateur puis designer dans le multimedia. « Invité à Ottawa pour la remise d’un prix dans ce domaine, relate Xavier Kawa-Topor dans le catalogue du festival, il décide de s’établir à Montréal en 1999 ».

Lors de la rencontre avec le public de La Rochelle, il a raconté, lui qui aime les objets et les livres, avoir débarqué avec, pour tout bagage, une valise, et le sentiment d’avoir abandonné son enfance et une bonne part de sa mémoire. Du cinéma d’animation, il se souvient encore des films plus ou moins de propagande proposés chaque vendredi à la télévision bulgare, mais surtout de l’émotion provoquée par Le hérisson dans le brouillard, le chef d’œuvre de Youri Norstein.

Mais quand il est arrivé à Montréal, il ne connaissait même pas l’existence de l’ONF, ce prestigieux studio d’animation. Le hasard a voulu qu’il trouve un logement à côté d’une vidéothèque et découvre alors toute la richesse du monde de l’animation, Jan Švankmajer, des frères Quay, Norman McLaren… Il a cependant tracé son chemin sans se soucier d’imiter quiconque, avec une conscience politique chevillée au corps, un goût certain pour la musique et un sentiment d’urgence auquel les outils numériques lui ont permis de répondre. En effet, si son travail est éminemment pictural, tout autant dans sa facture que dans les références qu’il invoque, Ushev tient surtout à ne pas perdre l’énergie de l’impulsion de départ qui l’a conduit à raconter l’histoire d’une petite fille qui s’ennuie de la maison de sa grand-mère située au bord de la mer Noire et arrive à faire sorte que cette dernière vienne la visiter à Montréal (Tzaritza, 2006), à s’inspirer de L’homme unidimensionnel, cette dénonciation radicale des sociétés industrielles avancées par Herbert Marcuse (Drux flux, 2008) ou à déployer, sur la Symphonie n°7 de Chostakovitch, dans une accélération fulgurante, les furies guerrières du XXe siècle en évoquant les peintres qui en furent les contemporains (Gloria Victoria, 2012).

Ushev dit ne pas avoir toujours besoin de s’appuyer sur un récit. Le son et particulièrement la musique sont, par contre, déterminants. Il compare volontiers le compositeur à un architecte qui donne ossature et rythme à l’agencement de ses dessins. Il sait son animation imparfaite, mais préfère de beaucoup sacrifier le léché et la fluidité au profit de la trace de l’émotion et de l’énergie qui le portent. En cela, la possibilité de scanner ses dessins et peintures, de les animer avec des logiciels autorise une vitesse d’exécution que les seules méthodes traditionnelles ne permettent pas. Et puis il peut travailler absolument seul. En pourrait-il être autrement quand on cherche l’imperfection ? Comment expliquer à un autre la façon de commettre des erreurs, ces accrocs qui sont la signature d’un geste individuel ?

Ceux qui ne sont pas passés par La Rochelle peuvent découvrir ses films sur le site de l’ONF ou sur son site personnel, lequel permet aussi d’avoir une idée de son travail de graphiste, d’illustrateur et de peintre. De quoi faire patienter en attendant sa prochaine réalisation, inspirée de La physique de la mélancolie, de l’écrivain bulgare Guéorgui Gospodinov, dont il avait déjà adapté Vaysha l’aveugle (2016).

Jacques Kermabon

 

 

Theodore Ushev à La Rochelle, photo Jean-Michel Sicot

 

La version française des Journaux de Lipsett, avec la voix de Xavier Dolan

 

Gloria Victoria, 2012

 

Vaysha, l'aveugle, 2016