Festivals 16/05/2019

Semaine de la critique 2019 : deux séances très spéciales pour commencer

Première séance spéciale de courts métrages – donc en hors compétition – dès ce jeudi 16 mai, à la Semaine de la critique, en attendant la deuxième, lundi prochain, toujours au Miramar.

La (double) séance spéciale des courts métrages de cette 58e édition de la Semaine de la critique vient compléter l’éclectisme vibrant de la compétition, par des propositions formelles inattendues. Quand on se penche sur la définition de “spécial”, on retrouve plusieurs sens possibles : particulier, extraordinaire ou singulier. C’est exactement vers cela que tendent les films de ces deux séances exceptionnelles et délibérément “spéciales” : la première repose sur des fondations surnaturelles et une émancipation de l’ordinaire, tandis que la seconde s’appuie sur des êtres marginaux, singuliers, qui s’interrogent sur le monde qui les entoure, avec une approche qui brouille joyeusement les frontières poreuses du documentaire et de la fiction.

Demonic (photo ci-dessous) commence par la montée irréelle d’un escalator comme une invitation à se laisser porter vers des cimes inconnues. L’Australienne Pia Borg évoque un fait-divers survenu aux États-Unis dans les années 1980, impliquant rites sataniques, hypnoses et simulacres. Les images de L’exorciste, de William Friedkin (1973), ont laissés une trace indélébile dans l’inconscient des américains. Ce sentiment d’horreur est palpable dans chaque plan. La réalisatrice, qui a obtenu le Pardino d’or à Locarno en 2014 pour son documentaire expérimental Abandoned Goodsconstruit une mosaïque à la fois complexe et limpide sur la mémoire collective. Les faux souvenirs s’infiltrent et contaminent la mise en scène, construite par de nombreux apparats (images d’archives, de fiction ou de synthèse). La douceur des travellings artificiels contraste avec l’étrangeté du propos, tandis que le récit joue de la fascination pour le glauque, comme dans les séries racoleuses et régressives de Netflix, mais use cette matière telle une véritable réflexion sur la portée des images.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avec Please Speak Continuously and Describe Your Experiences as They Come to You (photo de bandeau) – un titre volontairement inextricable, comme sa narration en trompe l’œil –, Brandon Cronenberg (à qui l’on doit déjà le long métrage Antiviral) nous embarque sur le territoire du corps (visions troubles et organiques) et, surtout, de l’esprit avec une intrigue corrélée aux rêves, ou plus exactement, à des cauchemars colorés. Emily, une jeune femme inapaisée évoque l’inquiétante étrangeté de ses songes lors de sessions psychiatriques expérimentales. Le récit ténu et efficace (9 minutes) alterne visions surréalistes à la Buñuel et dérèglement du regard.

Le dernier film projeté, Naptha (photo ci-dessous), promène un fantastique plus enfantin, plus bienveillant mais avec une imagerie aussi saisissante. Dans une station-service (espace excentré, de transit), un fils prend soin d’un père de plus en plus lunaire et “ailleurs”. Les cadres composés par Moin Hussain sont d’une rigoureuse simplicité. Le thème du retour chez soi n’est pas sans rappeler la féérie spielbergienne d’E.TMoins asphyxiant que son précédent film Real Gods Require Blood, le réalisateur britannique poursuit son exploration du bizarre ancrée dans un quotidien morne. Globalement nocturne, le film n’en est pas moins attentif aux couleurs et aux nuances des variations lumineuses.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


L’autre similitude entre les œuvres de cette première séance spéciale se dissimule dans des motifs récurrents. On retrouve un fétichisme galvanisant pour les objets rétro : gadget improbable dans le film de Cronenberg, vieux magnétophones dans celui de Pia Borg ou encore des VHS dans Naptha. Les trois films optent pour un lyrisme analogique étonnant. Il y a l’idée de revisiter le monde contemporain avec les outils d’hier.

La seconde séance spéciale, composé de deux films comprend d’abord le personnage de Duarte, dans Invisible Hero de Cristèle Alves Meira, quinquagénaire aveugle aux pensées poétiques vagabondant dans Lisbonne à la recherche d’un ami capverdien laissé dans l’imaginaire du hors champ. De l’autre côté, les moines bouddhistes de Tenzo du réalisateur japonais Katsuya Tomita (photo ci-contre). Il n’est pas question de sonder la ville de Bangkok comme dans son long métrage Bangkok Nites (2017), mais de glaner des images du Japon, notamment de la ville dévastée de Fukushima. Si le film évoque le déclin du pays, Tomita adopte un ton résolument optimiste et hétéroclite. Et sur ses 59 minutes, Tenzo évoque à la fois des modes de vies culinaires, le zen, et les actes altruistes. Dans les deux films, le récit déambule avec sérénité au gré des rencontres. Finalement, ceux qui ont un rapport “coupé” avec leur pays et leur espace sont en fait d’une lucidité remarquable. Des êtres spéciaux pour ainsi dire…

William Le Personnic

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