Festivals 16/04/2020

Les festivals dans la tourmente : rencontre avec Antoine Leclerc

Antoine Leclerc, le délégué général du Festival cinéma d’Alès Itinérances, est aussi celui de l’association Carrefour des festivals, en première ligne face à la vague d’annulations et de reports consécutive à cette situation de crise sanitaire inédite. Il a répondu à nos questions sur le sujet (photo : © Patrice Terraz).

Quelle est la position de Carrefour des festivals face à cette situation inédite liée, depuis la mi-mars, à la crise sanitaire ouverte par la pandémie de Covid-19 ?

Notre association, qui fédère une cinquantaine de festivals de cinéma un peu partout en France, est évidemment très concernée par cette crise ayant entraîné l’annulation, plus rarement le report, de dizaines de manifestations. Nous étions attentifs dès les prémices de la crise, mais la déclaration du Président de la République, le 12 mars, puis celle du Premier ministre, le lendemain, ont conduit à une accélération et à un sombre “vendredi 13”. Cette journée a en effet vu l’annulation d’une longue série de festivals membres qui démarraient (Cinéma du Réel à Paris, le Festival international de films de femmes de Créteil…) ou qui étaient imminents (Traversées - Festival de cinéma du Pays de Lunel, Festival Ciné-Jeune de l’Aisne, Cinélatino à Toulouse, Festival cinéma d’Alès - Itinérances…).

Très vite, nous avons compris que les festivals à suivre au printemps allaient malheureusement aussi être touchés et cela s’est vérifié par exemple avec le Festival de Brive, dédié au moyen métrage, les Reflets du cinéma latino-américain de Villeurbanne ou le Festival national du film d’animation de Rennes. Pour être honnête, nous n’avions en revanche pas mesuré tout de suite à quel point les festivals du début de l’été seraient à leur tour compromis et les suivants lourdement perturbés dans leur préparation. Dans ce contexte inédit, notre association s’est employée à sensibiliser et informer ses membres, en faisant circuler à la fois des informations sur leurs situations et décisions respectives mais aussi sur les mesures d’accompagnement mises en place nationalement par le gouvernement. Nous avons discuté quotidiennement avec des adhérents et remonté des informations, notamment auprès du CNC avec qui nous avons échangé très tôt et qui s’est avéré très attentif et mobilisé.

Aujourd’hui, nous continuons à relayer des informations sur des urgences, notamment via notre compte Twitter, tout en essayant, malgré les nombreuses incertitudes, de nous projeter et de faire de la prospective, tant il est désormais clair que l’impact de cette situation sera durable, bien au-delà de la seule année 2020. 

Quelles sont les différentes réactions des festivals et quelles répercussions à moyen terme cet état de fait aura-t-il, selon vous, sur l’écosystème de la diffusion du cinéma ?

En attendant d’éventuels, pour ne pas dire probables contrecoups touchant au moral, les organisateurs de festivals ont surtout dû parer au plus urgent et gérer à la fois la décision de l’annulation ou du report, la communication de celle-ci, en concertation avec leurs différents partenaires publics et privés, puis ses conséquences aussi immédiates que lourdes, notamment sur le front social et budgétaire. Beaucoup ont dû avoir recours au chômage partiel et se sont efforcés de protéger leurs équipes permanentes comme leurs collaborateurs ponctuels. Il est vite apparu qu’au-delà des seuls enjeux culturels, c’est tout un écosystème qui était fragilisé, en particulier les “précaires des festivals”, pour beaucoup des indépendants qui sont un vivier de compétences ainsi menacé – c’était déjà un vrai sujet de préoccupation pour notre association avant le virus !

Contraints de renoncer à des dizaines de projections et à l’accueil d’équipes de films qui auraient rencontré le public, les festivals annulant leur édition 2020 génèrent à regret des pertes d’activité évidentes pour l’ensemble de la filière : distributeurs, vendeurs internationaux, producteurs, exploitants.… Pour les cinémas et circuits itinérants partenaires, les effets sont particulièrement tangibles, tant festivals et exploitants sont liés. Nous n’oublions pas aussi des conséquences désastreuses sur les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, déjà lourdement touchés. En fait, on pourrait dire que l’absence de nombreux festivals de cinéma cette année souligne en creux leur rôle à plusieurs endroits, et c’est une démonstration chèrement payée !

Les reports sont-ils selon vous préférables aux annulations pures et simples et quel impact aurait celle, éventuelle, du Festival de Cannes ?

En ce qui concerne les arbitrages entre annulations et reports, cela dépend de plein de paramètres propres à chaque manifestation et son environnement : nature et taille, calendrier local, lieux investis… Si des manifestations comme Côté court à Pantin ou le Festival de Brive peuvent plancher sur des reports à la rentrée, sur un principe d’éditions resserrées dans leur cinéma partenaire, c’est par exemple plus compliqué pour des manifestations qui investissent aussi des scènes nationales ou des centres de congrès, en plus de salles de cinéma et de médiathèques. 

Concernant Cannes, l’impact est bien sûr à la fois très concret et symbolique. À l’heure de cet entretien, le Marché du Film vient d’annoncer une édition en ligne fin juin, les sections parallèles cannoises ont simultanément officialisé leur annulation et la profession attend de savoir quelle forme alternative pourrait prendre le Festival de Cannes “d’une manière ou d’une autre” pour reprendre la formule de son communiqué. Comme Avignon pour le théâtre, Cannes est évidemment une étape-clé de l’année pour bien d’autres festivals de cinéma, à la fois un lieu de découvertes et de prospection comme un lieu de rencontres et de lien avec leurs interlocuteurs, français ou étrangers. 

Quelles sont les attentes du milieu à l’égard des pouvoirs publics et faudra-t-il prévoir dans l’avenir d’autres formes possibles de repli, sous des formes digitales en premier lieu ?

Au-delà de mois de travail et d’efforts remis en cause, nous avons vite mesuré l’impact très conséquent de cette situation pour les budgets et trésoreries déjà fragiles d’associations ayant engagé la quasi-totalité de leurs dépenses alors que leurs perspectives de recettes de billetterie disparaissaient. L’effet était d’autant plus immédiat qu’il s’agissait de manifestations de début d’année dont la plupart des subventions n’avaient pas été versées et souvent même pas encore votées ou notifiées !

Dans ce contexte, la réactivité de l’État a été essentielle et on peut encore saluer le message fort du ministère de la Culture et du CNC qui ont rapidement annoncé le principe d’un maintien des soutiens aux festivals annulés et reportés. Si de nombreuses collectivités territoriales semblent d’accord avec le principe d’accompagnement de ces manifestations, plusieurs retours nous laissent logiquement craindre que la crise sanitaire ne perturbe les possibilités de réunions et de délibérations des élus. C’est particulièrement vrai pour la plupart des municipalités qui n’avaient pas encore voté leur budget 2020 et se trouvent confrontées à un cas de figure inédit : un entre-deux tours d’élections durable. Cette situation perturbe par ricochet l’échelon des communautés de communes, agglomérations et métropoles avec un calendrier des arbitrages et notifications aujourd’hui plus incertain que jamais. Au-delà de ce cadre conjoncturel, nous serons bien sûr attentifs à des possibles plans d’urgence pour le secteur culturel. 

Concernant les initiatives digitales alternatives mises en place par certaines manifestations, souvent en s’appuyant sur des plateformes partenaires comme Tënk pour les documentaires, il est beaucoup trop tôt pour un bilan, mais ce sera un vrai sujet sur lequel se pencher collectivement au sortir du confinement.

Un nouveau calendrier est-il envisageable, à l’instar de celui des sorties en salles ?

Un éventuel nouveau calendrier serait de fait un défi puisque des manifestations ayant réussi à différer leur édition à l’automne vont devoir exister “hors saison”, parallèlement aux festivals de cette période et à de nombreux autres rendez-vous culturels, mais aussi sportifs ou professionnels qui, comme les sorties de films, risquent de connaître une accumulation préoccupante. Et ceci sous réserve de l’évolution du volet sanitaire, pour le moins incertaine…

Pour conclure, je souhaiterais donc citer le sociologue de la culture Emmanuel Négrier, dans Le Monde du jour : “L’arrêt de tous les festivals est un crève-cœur également parce qu’ils ont acquis un statut d’opérateur social et territorial.”.

Propos recueillis (par mail) par Christophe Chauville
Photo de bandeau : © Patrice Terraz

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