Festivals 31/05/2017

Cannes 2017 : Une Quinzaine des réalisateurs aux petits oignons

Pour ceux qui n’ont pas eu l’opportunité d’aller sur la Croisette, la sélection courts métrages de la Quinzaine des réalisateurs est reprise à Paris, au Forum des images jusqu’au 10 juin. Concocté par Laurence Reymond, ce programme de films courts (dix films de durées et nationalités variées) mérite le détour.

Cette année, il ne faudra surtout pas manquer le Prix Illy du court métrage : Retour à Genoa city du Français Benoit Grimalt (photo ci-dessus). Issu de l’école de Gobelin et du milieu rock, Grimalt s’empare de la forme documentaire avec une liberté telle que ce qui aurait pu relever d’une grande platitude (il filme ses grands-parents dans leur appartement) se mue en un cadavre exquis burlesque : des pliages en papier dont le côté face jubilatoire réserve un côté pile plus sombre. Pour la petite histoire, ses grands-parents sont des pieds noirs napolitains. D’origine italienne, ils ont émigré à Alger avant de fuir l’Algérie (après la guerre), et ont refait leur vie à Nice.


Loin de constituer un point d’ancrage, ce détail historique se révèle être le point nébuleux du film. La faute au tempérament napolitain ; de ce sujet, personne ne parle (ce qui ne manque pas d’étonner le jeune réalisateur). Grimalt filme donc sa famille comme il l’a toujours connue : son père (mutique) et grand-parents (somnolents). Installés face à la télévision, tous digèrent Les feux de l’amour (un soap opera diffusé après l’heure du déjeuner) à propos duquel Grimalt livre plusieurs analyses bien documentées et judicieuses.


La qualité de ce regard critique, teinté d’humour et mâtiné d’amour, justifie à elle seule la découverte de Retour à Genoa city. D’autant que comme suggéré plus haut, ce film a plusieurs visages. D’une certaine manière, lui aussi aurait pu s’appeler “Les feux de l’amour” (côté face) ou “Les feux de la mort” (côté pile).

En filmant ses grands-parents, Grimalt retient ce qui est sur le point de lui échapper. Son film est comme une toupie lancée à toute vitesse qui, circulant en huis clos (dans un appartement, dans un feuilleton de télévision qui lui aussi fonctionne uniquement en intérieur), tournoie non seulement autour de l’indicible (le tabou historique et le traumatisme familial), mais également, parvient dans sa courte période orbitale à reproduire la petite musique d’un temps somnolent, celui du vieillissement, de l’oubli ordonné par un ordre refoulé aussi prégnant qu’invisible.

Dans Retour à Genoa city, les instantanés d’une famille de mutants hypnotisés par un écran se succèdent. Et même si sous-jacente se décrypte ici une critique de l’empire de la télévision, pour le généreux Grimalt, les grands-parents ne constituent jamais ni des objets ni des sujets, ce sont des planètes, véritables stars de son film. Effets spéculaires de l’écrin numérique, ils partagent l’estrade (le ciel ?) avec leur héros du feuilleton télé et deviennent leurs alter ego fictifs dotés de mille vies. Ce sont de mystérieux voyageurs, visiteurs de pays engloutis et habitants de baies aussi vraies qu’imaginaires.

Dans la série des chroniques douces amères, on conseillera également Crème de menthe des Canadiens Philippe David Gagné et de Jean-Marc E. Roy ainsi que l’animation suédoise Min Börda de Niki Lindroth von Bahr.

Crème de menthe suit le quotidien d’une jeune femme (Renée, interprétée par Charlotte Aubin) qui, juste après le décès de son père, doit vider en six jours la maison du paternel, un lieu où elle n’a pas mis les pieds depuis bien longtemps. Lorsqu’elle ouvre la porte, elle découvre toutes sortes de collections d’objets et y recherche une preuve d’amour. Un soir, alors qu’un voisin lui rend visite, elle s’enfile des litres de crème de menthe, un alcool très sucré, grande spécialité des soirées des 17-20 ans québécois.

Rien ici de vraiment neuf ni sur le sujet (le deuil au cinéma) ni dans la forme (un contre-pied humoristique autour du deuil). Mais c’est justement en se coulant dans une matrice classique que les réalisateurs réussissent leur pari. Comment ? Grâce à l’écriture. Crème de menthe appartient à cette catégorie de films ciselés dans une écriture tout en finesse, à la fois transparente et légère (voir le décor métaphore), détrompant les attentes et ménageant avec tact, empathie et émotion.

Venu de Suède, Min Börda (The Burden en anglais) est une comédie musicale d’animation avec pour protagonistes des animaux (des poissons, des singes, etc.) qui, répartis selon leur espèce (les poissons à l’hôtel, les singes dans un call center) paraissent tous sous l’emprise d’un spleen irréversible.

On ne sait si la réalisatrice avait en tête l’album Random Access Memories des Daft Punk en réalisant cette animation borderline, toujours est-il que les voix pleurantes autotunées ne cessent de faire penser à celle de Paul Williams – superstar et acteur notamment dans La planète des singes – chantant “Touch” dans le chef-d’œuvre des Daft Punk, soit une voix à la fois humaine et robotisée, sensible destructurée. Toute la charge comique de Min Börda repose sur ce caractère à double tranchant grinçant et dépressif.

D’autres films sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs méritent le détour notamment La bouche de Camilo Restrepo, un court métrage filmé en argentique sous influence de Thierry Knauff période Gbanga Tita, soit un cinéma habité, radical, musical, éphémère et intransigeant ; Copa-Loca de Christos Massalas, un film arty et déjanté dans la lignée du nouveau cinéma grec ; Farpões, baldios de Marta Mateus, un court métrage visuel et politique filmé avec appareil photo sous influence de Straub et de Huillet ou encore Tijuana Tales de Jean-Charles Hue avec lequel le réalisateur de Mange tes morts signe son retour à la forme courte.

Donald James