Festivals 24/03/2019

À Chicoutimi, les Québécoises ont la cote

Le 23e festival Regard, posé à Chicoutimi, quartier de la ville québécoise de Saguenay, a confirmé la vitalité du jeune cinéma canadien. Et plus particulièrement le dynamisme des réalisatrices et productrices québécoises. Notre collègue Valérie Ganne, qui faisait partie du jury Fipresci cette année, nous a réservé – merci à elle – la primeur de ses impressions.

C’est fort fort loin, il y fait fort fort froid, mais le festival Regard vaut le détour : cette rencontre dédiée aux courts métrages met chaque année le feu à la petite ville de Saguenay et au quartier de Chicoutimi, où est basé le QG du festival. La vitalité du court métrage canadien n’est plus à prouver, comme l’affirmait en fin de soirée un membre du jury : “Nous les Québécois, on est meilleurs en court qu’en long...”. Au risque de vexer Xavier Dolan et Jean-Marc Vallée… Cette année, parmi les cinq nominés dans la catégorie “fiction courte” aux Oscars il y avait deux Québécois : Marguerite de Marianne Farley et Fauve de Jérémy Comte (photo de bandeau). Sans Oscar, mais auréolé de ses 130 sélections en festivals d’où il est revenu avec 70 prix, le réalisateur de Fauve faisait d’ailleurs partie du jury professionnel de Regards pour cette 23e édition. Il y avait été primé l’année dernière.

Mené par une équipe en majorité féminine, ce festival est dirigé par Marie-Élaine Riou et programmé par Melissa Bouchard (photo ci-contre). Pour cette dernière, la tâche est chaque année plus chronophage : “Nous avons reçu 2 000 courts pour l’édition 2019, soit dix fois plus que lorsque j’ai commencé à Regards, il y a dix ans.”. En effet, la manifestation a intégré depuis peu la liste des festivals canadiens qualificatifs pour les Oscars (un prix dans un festival qualifié ouvre au cinéaste une possibilité de pré-nomination). Ce qui a permis à Regards d’assoir sa notoriété et de recevoir davantage de films postulants. Cependant, “plus de la moitié de notre programmation reste constituée de films que nous allons chercher de nous-mêmes, dans d’autres festivals ou sur les plateformes dédiées”, ajoute Melissa. Le Festival s’est également ouvert à l’international. Sur les 500 invités, une soixantaine venaient du monde entier, hors Canada. “Comme nous sommes décentrés de Montréal, cela favorise les rencontres professionnelles”, souligne la directrice Marie-Élaine Riou. En témoigne le succès du marché réunissant programmateurs, distributeurs, producteurs, certains venus de Singapour, du Japon ou du Brésil. “Nous faisons également attention à équilibrer la présence des professionnels avec celle du public local”, précise Marie-Élaine. Les salles étaient combles et enthousiastes, la principale de 800 places, souvent bondée, devant même être agrandie par une salle supplémentaire de 200 places pour les projections. Impressionnant pour une ville qui compte d’autant d’habitants que Clermont-Ferrand, mais sur une superficie trente fois plus grande !

Les professionnelles étaient dans la place, qu’elles soient réalisatrices (la moitié des 27 courts canadiens en compétition étaient réalisés par des femmes), productrices, programmatrices de festival ou responsables de plateformes dédiées au court… Les films réalisés par des femmes sont d’ailleurs très présents au Palmarès : le jury principal – qui a délibéré 5 heures – a remis trois de ses cinq prix à des femmes. Deux Belges ont reçu le prix du jury (Une sœur de Delphine Girard) et celui du meilleur documentaire (Suspension d'audience de Nina Marissiaux). Le Prix du meilleur court canadien est allé à Sandrine Brodeur-Desrosiers pour Juste moi et toi (photo-ci-dessus). Un conducteur d’un énorme camion emmène sa fille de 8 ans de Montréal aux Mexique pour un aller-retour aux faux airs de vacances. Ce joli film, produit par Johannie Deschambault (les Films Camera Oscura), avait déjà été remarqué en février dernier à la Berlinale d’où il est revenu avec un Ours de cristal du jury de la jeunesse. La critique québécoise a également choisi une réalisatrice parmi les quelque 40 films internationaux : Sandhya Suri pour Le champ de maïs, un regard original sur une paysanne indienne, mère et mariée, qui ose avoir un amant.

Autre nom à retenir au retour de cette 23e édition de Regards : Midi La Nuit, société de production de Fauve de Jérémy Comte. Sa fondatrice, Maria-Garcia Turgeon, est venue remercier trois fois les jurys ! Tout d’abord pour Brotherhood de Meryam Joober, qui a reçu deux mentions : ce magnifique portrait d’une famille de bergers tunisiens confrontée au retour de Syrie du fils aîné avait déjà été primé au dernier festival de Carthage. Ensuite pour La couleur de tes lèvres, d’Annick Blanc (photo ci-contre), récompensé par le jury Fipresci de la critique internationale. Dans un monde post-apocalyptique devenu littéralement irrespirable se rencontrent brièvement une femme obèse et un plongeur, réunis par leurs bouteilles à oxygène, séparés par leur lutte pour l’air. La réalisatrice est d’ailleurs également productrice au sein de Midi La Nuit. On retrouvera La couleur de tes lèvres fin mars aux Canadian Screen Awards (l’équivalent de nos César) ou il est nominé… aux côtés de Fauve !

Last but not least, le grand jury a récompensé deux fois le français Jonas Schloesing, pour Riviera (photo ci-contre), présenté à Clermont en février dernier. Ce film d’animation est une réflexion pleine de compassion sur la solitude et la maladie à travers le regard d’un vieil homme, à l’heure de la sieste d’une chaude journée d’été dans une résidence de la Riviera. Il a reçu à la fois le Grand Prix et le Prix du meilleur film d’animation.

Le dynamisme du court métrage québécois n’est donc plus à prouver, redoublant d’initiatives. Ainsi Regards avait prévu une récompense financière pour les courts métrages fauchés, dans une section intitulée “Tourner à tout prix” qui comptait sept films. De plus, outre les séances thématiques (MeToo, documentaire, jeunesse), une expérience originale a été tentée avec quatre courts métrages visionnés les yeux bandés, accompagnés de textes descriptifs et poétiques lus par des écrivains locaux. Terminons enfin en citant Plein(s) Écran(s), jeune festival de courts métrages sur Facebook qui a lieu fin novembre. Une initiative unique au monde menée par Jean Christophe Lamontagne, dynamique fondateur de la société de distribution H264. Le Québec est en effet l’une des rares régions au monde où des distributeurs spécialisés en court métrage prennent en main à la fois leurs sélections en festivals et les ventes internationales. Preuve supplémentaire et définitive de la vitalité de cette culture des films courts.

Valérie Ganne

Au palmarès de Regard (à retrouver en intégralité ici) :

Grand jury

Grand prix : Riviera de Jonas Schloesing (animation, France)
Grand prix canadien : Juste moi et toi de Sandrine Brodeur-Desrosiers (Canada-Québec)
Prix du Jury : Une sœur de Delphine Girard (Belgique), avec une mention à Brotherhood de Meryam Joobeur (Canada-Québec)
Prix du Meilleur Documentaire : Suspension d'audience de Nina Marissiaux (Belgique), avec une mention à Swatted d’Ismaël Joffroy-Chandoutis (France)
Prix de l’animation : Riviera de Jonas Schloesing (France)

Critique québécoise AQCC
Le champ de maïs de Sandhya Suri (France, Inde, Angleterre)

Critique internationale Fipresci
La couleur de tes lèvres d’Annick Blanc (Canada-Québec)