En salles 05/02/2018

Vivre avec la peur

La peur de “l’autre”, c’est celle envers le père joué par Denis Ménochet, au sein de la famille désormais disloquée de “Jusqu’à la garde”, premier long métrage de Xavier Legrand (en salles à partir du 7 février), dont le début s’inscrit dans la suite directe du dénouement de son court métrage multi-primé “Avant que de tout perdre”.

Avant que de tout perdre (2012, 30 min) fait partie de ces rares “courts phénomènes” remportant tous les suffrages (quatre récompenses, dont le Grand prix et ceux du Public et de la Presse à Clermont-Ferrand en 2013, avant le César du court métrage l’année suivante). Et l’on sut assez tôt que la matière du premier long métrage de Xavier Legrand proviendrait de ce court qui, en trente minutes extrêmement tendues, enregistrait un moment de bascule, la fuite (ultime ?) d’une femme et de ses enfants face à un un mari que l’on devinait dangereux (le film trouvant une part de son originalité dans la mise en scène minutieuse des détails – administratifs notamment – permettant à Miriam de “changer de vie”).

On s’inquiétait de voir, comme trop souvent, le court paresseusement décliné en long et c’est une belle surprise de mesurer à quel point Jusqu’à la garde s’appuie au contraire sur un premier film qu’il ne renie pas. S’il n’est heureusement nul besoin d’avoir vu Avant que de tout perdre pour apprécier le premier long métrage de Xavier Legrand, nous est proposé ici un vrai cas d’école puisque Jusqu’à la garde assume aussi, pleinement, d’être une suite. Deux films autonomes, donc, mais s’enrichissant l’un l’autre, où le casting de la famille Besson reste le même (à l’exception du jeune fils dont on comprend pour quelles raisons pratiques il se retrouve interprété par un autre acteur), chose assez rare dans ce genre de passage du court au long.

Avant que de tout perdre (visible sur Netflix – et sur Canal+, exceptionnellement, le mercredi 7 février) était un film à suspense, un potentiel film-dossier heureusement transcendé en film d’action. Jusqu’à la garde fait preuve de la même maîtrise, de la même épure, en ayant parallèlement l’intelligence d’inverser certains postulats du premier film. Quand Avant que de tout perdre, film de fuite et d’horizons espérés, filait entre escaliers de service, réserves, bureaux et parking de supermarché, Jusqu’à la garde ralentit le rythme et resserre au contraire le champ autour d’espaces de plus en plus confinés : les nombreux trajets en voiture de Julien avec son père d’abord, de mornes intérieurs familiaux ensuite et un appartement assiégé pour finir. Dans le même temps, le point de vue change littéralement d’un film à l’autre, Léa Drucker cédant le rôle principal à un Denis Ménochet échappant subtilement à la catégorisation monolithique où le cantonnait Avant que de tout perdre.
Mais, pour ne pas brouiller l’entrée – étonnante ! – dans le long métrage de Xavier Legrand, sans doute ne faut-il pas (re)voir Avant que de tout perdre juste avant. Soyons clairs : ce n’est ni un prologue, ni un premier chapitre. C’en est pourtant – et presque paradoxalement – l’indispensable complément.

Stéphane Kahn