En salles 09/01/2018

Une météo incroyablement estivale

Ce début janvier est marqué par la sortie en salles, le mercredi 10, d’un programme de deux moyens métrages intitulé “Les films de l’été”, sur l’initiative conjointe de L’Agence du court métrage et du Festival du cinéma de Brive, dédié au format. Emmanuel Marre, le réalisateur du “Film de l’été”, et Claude Schmitz, celui de “Rien sauf l’été”, ont répondu pour nous à cinq questions similaires.

L’été serait-elle selon vous la meilleure des saisons pour y enraciner une fiction ? Pourquoi ce choix sur votre film en particulier ?

Emmanuel Marre :
Le choix de l’été n’a pas été un choix, mais une impulsion. J’ai décidé de faire ce film deux semaines avant de le tourner et on était un 15 juillet. Il y avait une nécessité très simple : Balthazar, qui joue l’enfant du film, avait 9 ans et demi. Ce serait son dernier été d’enfant. Balthazar et Jean-Benoît, qui interprète Philippe, sont voisins de palier dans la vie. Il y a entre eux une relation d’amitié très particulière. Au moment du tournage, on ne savait jamais, en voyant ces deux-là, qui était l’adulte et qui était l’enfant. Cette relation, on voulait en garder une trace.
Et puis, l’été est une saison intéressante pour filmer la dépression, le désespoir. Tout vous tend un miroir inversé. Autour de vous, tout le monde a envie d’être bien, de profiter des vacances ; tout le monde est en pause.  

Claude Schmitz :
Disons que pour tourner un film, c’est plus agréable, comme saison... Surtout quand il n’y a pas d’argent ! On est dehors, il fait théoriquement chaud et beau. C’est un choix pragmatique, cela permet d’allier vacances et travail. Rien sauf l’été, c’est, dans tous les sens du terme, un film de vacances. On part, on ne sait pas ce qu’on va faire et on filme à peu près ça. Les scènes, les motifs et les points d’entrés dans la narration arrivent par hasard ou au fur et à mesure du séjour, en fonction de ce qui s’est passé ou de ce qui arrive. C’est un film qui a été fait dans un état de disponibilité et de curiosité. Quand il n’y a pas de plan de travail, pas de cahier des charges et encore moins de scénario, quand il n’y a “rien”, tout est susceptible d’entrer dans la narration, ce rien devient totalisant. C’est là le sens du “rien” que comporte le titre.

Comment s’est effectué le travail avec vos comédiens, y a-t-il eu une part d’improvisation ou tout était-il assez écrit ?

EM : Ce film a été entièrement improvisé pendant 5 jours. On est descendus en voiture de Paris à Marseille. Et on a inventé les choses au fur et à mesure. Souvent, on était à la limite du documentaire. 

CS : Comme rien n’est écrit, tout est improvisé ! Même si le terme d'improvisation ne me paraît pas très juste. Parce que l’improvisation peut vite tourner à vide. C’est un peu le jeu pour le jeu. Disons que tout est vécu sur l’instant. Je tente de garder une réelle porosité entre ce que vit l’acteur à l’instant du tournage et ce qu’on définit ensemble comme étant le personnage. Durant le tournage je n’ai pratiquement donné aucune indication, car je ne crois pas vraiment à la direction d’acteurs.
Par contre, j’ai proposé des situations et regardé comment les uns et les autres s’en emparaient. En général, on faisait une, voire deux prises, tout au plus. Pour moi, il était important que cela se passe là, tout de suite, sans passer par une tentative de perfectionnement. Il fallait que cela reste vivant.
Les acteurs du film sont pour la plupart des gens avec qui je travaille au théâtre et au cinéma depuis plusieurs années. Pourtant, ce n’est pas une troupe, mais plutôt un groupe hétéroclite, une sorte d’alliance sauvage composée de personnalités venant d’univers très différents. Une bonne partie de ce groupe n’a d’ailleurs pas de formation au jeu.

Il y a dans votre film un humour assez singulier, est-il lié à une quelconque “belgitude” ?

EM : … belgitude ? Si c’est pour parler de Benoît Poelvoorde, du surréalisme et du goût de l’absurde, l’idée était justement de s’en détacher ! J’ai un immense respect pour Poelvoorde ou Magritte, mais on était pas là dedans... C’est assez rigolo, vu que je suis français et que j’ai grandi à Paris, on moque mon parisianisme et à Paris, on me parle de belgitude…
Après, je crois que ce qui est spécifique à l’humour belge – flamand comme wallon –, c’est qu’il y a toujours un fond d’autodérision. En Belgique, les films et leurs personnages préfèrent se moquer d’eux-mêmes que des autres. En France, on a tendance à valoriser le “sérieux”. Même les comédies déconnent avec sérieux !

CS : La belgitude, c’est un concept un peu vague ! C’est un label à l’export... Un peu comme le chocolat, la bière ou les gaufres… Ça rassure, mais c’est limitatif, car ça empêche de regarder un objet pour ce qu’il est. Il me semble que si il y a un humour singulier dans ce film, c’est avant tout parce que les gens qui le traversent le sont.

La mélancolie qui se dégage peu à peu, autour d’un motif de solitude, était-elle au premier rang de vos intentions ?

EM : Dans mon cas, c’était le fond de l’affaire... Je suis un grand fan d’Edward Hopper, de sa mélancolie, sa touche si particulière qui montre des être entre deux états. Je la ressens très fort sur les aires d’autoroutes, dans les hôtels Formule 1 ou les rayons de la Fnac. Les non-lieux standardisés me touchent par la mélancolie et l’espace d’introspection qu’ils offrent.
Dans Le film de l’été, l’idée et de retrouver la sensation que j’avais dans les supermarchés au moment du divorce de mes parents et que ce qui parlait le plus à mon cœur était la “musique au mètre”. Cette sensation aussi que beaucoup d’entre nous ont eu, enfants, à l’arrière de la voiture, à regarder passer le paysage pendant les très longs trajets d’autoroute pour aller en vacances. 


CS :
 Pour moi, ce n'était pas vraiment le cas, même si j’avais tout de même évoqué avec les acteurs l’idée que le château en travaux serait quelque part la métaphore d’une Europe en crise. À ce titre, il y a dans le film le sentiment que quelque chose s’effondre et se raréfie. La famille représentée est également métaphorique. Elle n’est pas réaliste et constitue plutôt une association de marginaux tentant, tant bien que mal, de faire encore communauté.
La propriété du château agit comme une sorte de jardin d’Eden. C’est un endroit préservé des turpitudes du monde contemporain mais qui pourtant porte en lui sa propre maladie, sa propre mélancolie. Le personnage de la mère malade en est l’incarnation la plus marquante... Il faut dire aussi que le film s’est véritablement écrit et inventé au montage. C’est là que les motifs et les thématiques se sont révélées et c’est vrai que la solitude en est un.  

Qu’est-ce que chacun de vous aimerait dire de l’autre film inclus dans le programme ?

EM : Avant tout, Rien sauf l'été est un film très beau. Beau dans le sens le plus simple. C’est très beau à voir plastiquement. Claude transpose la beauté de ses scénographies de théâtre au cinéma, il crée des tableaux à la fois très simple et fascinants.  La première fois que Claude m’a montré une étape de montage du film, j’étais frappé par le charme qui s’en dégageait. C’est drôle, assez absurde, mais jamais ironique. Il  y a  un  “je ne sais quoi”, un “presque rien” que j’adore. Il se passe en apparence très peu de choses, mais rien n’est jamais anodin. Et cela n’exclut pas le tragique. La beauté du film est de montrer que des moments très durs de la vie, comme la maladie par exemple, on les vit avant tout dans des petites choses, des bouts de quotidien.  

CS : Ce qui me frappe et que je pense que je n’avais pas remarqué à la première vision du film d’Emmanuel, c’est qu’il y a dans celui-ci un vrai sens du cadre. Souvent les personnages ne sont pas placés de façon classique dans l’image. Je le dis parce que ce n’est pas tape-à-l’œil et donc d’autant plus remarquable. On le constate à une deuxième vision. Il n’y a pas de volonté à faire un “beau cadre”, mais on y trouve constamment une réflexion vivante – en mouvement – sur la question de la composition.
Il y a dans ce film quelque chose de fébrile qui trouve continuellement un point d’équilibre, un rapport juste et intime, entre le sujet filmé et l’environnement dans lequel celui-ci évolue. Ce n’est jamais poussif, c’est sensible et c’est ce que j’aime particulièrement dans le film d’Emmanuel, au-delà des thématiques qu’il aborde, des qualités d’acteurs et de ses très belles trouvailles de montage.

Propos collectés par Christophe Chauville
Remerciements particuliers à Mathilde Bila