En salles 03/08/2020

Que voir en août au cinéma ?

Quasiment pas de blockbusters US estivaux cette année, mais quelques propositions dignes d’intérêt pour tous ceux qui sont en manque de fréquentation des salles obscures.

En attendant la vraie reprise – la nôtre et la rentrée qui semble plus “officielle” dans les salles, le 26 août (avec le Tenet de Christopher Nolan, finalement…) –, certains distributeurs ont fait des choix qui pourraient être judicieux autour de titres susceptibles de tirer d'ici-là leur épingle du jeu, au-delà du contexte.

Ainsi, Arizona Distribution lance en ce début de mois (dès ce mercredi 5) Eva en août, de Jonas Trueba (photo de bandeau), une éclatante réussite doublement primée à Karlovy-Vary l'an dernier et qui n'est pas un coup d'essai pour le fils de Fernando Trueba, déjà auteur de plusieurs longs métrages depuis 2010. Un film de saison, mettant en scène une jeune trentenaire madrilène décidant de demeurer dans sa ville alors vidée de ses habitants, au moment de fêtes traditionnelles auxquelles assistent surtout des touristes. Un film doux et mélancolique, aussi, résonnant étrangement avec les temps de l'avant-Covid 19, et qui lorgne clairement – surtout en regard de son titre français – du côté des contes rohmériens, mais sans être jamais écrasé par une telle référence. Des rencontres, des moments de solitudes, des épiphanies discrètes : la petite musique du film est celle d'un cousin ibère de Guillaume Brac et l'actrice Istaso Arana est une belle révélation.

Sorti le même jour, Just Kids de Christophe Blanc (photo ci-dessus) consacre, dix ans après Blanc comme neige, le retour sur les grands écrans du cinéaste, ex-rédacteur de Bref dans les années 1990. On pense dès le titre au fameux livre de Patti Smith, et le film est en effet assez rock, mais c'est bien son histoire personnelle qui a inspiré celui qui a lui-même perdu ses parents très tôt, à l'instar de la fratrie de son film, et qui a engendré au bout du compte deux personnages : Jack, 19 ans (joué avec une maestria renouvelée par Kacey Mottet Klein) et son cadet Mathis, 10 ans – une sœur presque majeure, Lisa, complète le trio.

Un goût constant pour le cinéma de genre subsiste (il était déjà présent il y a près de trois décennies dans les moyens métrages Violente, bientôt en ligne sur Brefcinema, et Faute de soleil), mais ce sont bien les liens intimes – forts et complexes – qui intéressent ici l'auteur, générant quelques scènes magnifiques (voir la fin du film), même si la narration manque parfois d'une structuration suffisante sur la globalité. À noter que l'on peut aussi retrouver dans le personnage de l'oncle scrutateur et néanmoins bienveillant – surnommé “L'œil” – un réalisateur cher à Bref, Yves Caumon, qui confirme être un excellent interprète, ce que l'on savait pertinemment depuis Bernard ou les apparitions, court métrage des frères Larrieu (c'était en 1993…).

La semaine suivante, place à une autre “ancienne du court” que Bref avait dès lors suivie : Marion Laine. Voir le jour (photo ci-dessus) est le troisième long métrage de celle qui avait été révélée à la fin des années 1990 avec Derrière la porte, un court délicat qu'interprétaient Elli Medeiros et sa fille Calypso (autrement dit la chanteuse Calypso Valois, future jurée du prochain Festival de Brive). Les mêmes qualités de sensibilité et de nuance dans la construction de ses personnages – ici ceux de Sandrine Bonnaire et Aure Atika en tête – se perpétuent, pour une trame narrative entraînant dans le quotidien d'une maternité, menacée par les cadences infernales et les mutations frappant l'hôpital public en France. Mais au-delà de ces éléments tangibles précis et liés à un naturalisme aisément maîtrisé, le romanesque surgit en la personne d'un individu venant du passé de l'héroïne et ressuscitant toute sa vie d'avant, sous une autre identité et dans un tout autre monde… L'équilibre est vite trouvé – au gré de flashbacks plutôt harmonieusement envisagés – et l'aventure humaine s'avère passionnante, dans un contexte social très contemporain et reflétant évidemment la réalité du milieu des soignants mis au devant de la scène depuis le printemps dernier.

À voir également le 12 août un premier long métrage venu de Taïwan : The Crossing de Bai Xue (photo ci-dessus). Présenté à Toronto et à Berlin, ce roman d'apprentissage d'une jeune fille de 16 ans, Peipei, plonge dans les limbes de la petite délinquance de la trouble zone transfrontalière séparant Hong Kong de la Chine en tant que telle, en l'occurrence Shenzhen, même si la “réunification” date déjà de vingt ans. Des trafics en tous genres y pullulent, notamment sur les smartphones, ce pour quoi la lycéenne en jupe plissée se révèle particulièrement douée. Dans le même temps, la rencontre avec un séduisant petit voyou pourrait bien déboucher sur une première idylle… On pense au Wong Kar-wai du milieu des années 1990, assez spontanément, mais remis à un goût du jour très actuel, l'argent étant devenu la référence unique au pays de Mao. Une excellente surprise, en tout cas, de la part d'une ancienne étudiante de l'Académie du film de Beijing ayant signé deux courts métrages au préalable : The Fat Girl en 2007 et Home en 2012.

Débarquant dans les salles le 19 août après son prix à Sundance et un report de date de sortie lors de la crise sanitaire, Mignonnes de Maïmouna Doucouré (photo ci-dessus) traite aussi de la mutation d'une adolescente, en tentant de prendre à bras le corps le motif de l'hyper sexualisation des jeunes filles dont les modèles sont liées à Internet et aux réseaux sociaux, s'accomplissant par la danse, mais surtout par les répercussions escomptées des vidéos lancées en ligne les montrant en train de “performer”, parfois lascivement. Et c'est justement le problème, la réflexion sur les dérives de ce phénomène dérégulé – il faut préciser qu'Amy n'a pas 12 ans… – n'est pas totalement convaincante, même si l'énergie du film apparaît éclatante, à mettre à l'actif de sa réalisatrice – remarquée avec le césarisé Maman(s) (2015) – comme de ses jeunes interprètes.

Une autre fable de cette période d'entrée dans l'âge adulte et tout ce qui s'y rapporte emmène, la même semaine, dans un coin moins familier à l'écran que la Seine Saint-Denis, à savoir des campagnes reculées de Bulgarie… Sister, de Svetla Tsotsorkova (sorti par Tamasa Distribution, photo ci-dessus), suit sa jeune héroïne, volontiers mythomane et qui déséquilibre une situation familiale déjà passablement bancale en cherchant à séduire l'amant – mûr – de son aînée, sous les yeux d'une mère célibataire ayant en son temps défrayé la chronique du village par ses frasques amoureuses. Au-delà d'une certaine lenteur de l'écriture, ce film montré dans de nombreux festivals explore des sentiments universels tout en peignant des situations sociales méconnues à l'intérieur même de l'Union européenne. Et l'actrice Monika Naydenova fait preuve d'un sacré tempérament en jouant cette Rayna assez imprévisible. 

Bonnes toiles aoûtiennes à toutes et à tous !

Christophe Chauville

À noter : la sortie de Sister a été finalement décalée au 7 octobre 2020.

À lire aussi :

- Trois sorties du 29 juillet, toujours en salles.

- Un court métrage autour de l'interprète principal de Just Kids : Kacey Mottet Klein, naissance d'un acteur, d'Ursula Meier.