En salles 19/11/2019

La jeunesse de Milos Forman

Présentés au dernier Festival du film de Brive, deux moyens métrages réalisés par Milos Forman en 1963 sont distribués par Carlotta Films à partir du 20 novembre, dans une restauration 2K inédite : “Ah, s’il n’y avait pas ces guinguettes” et “L’audition”, qui donne son titre à ce programme d’une durée totale de 77 minutes.

Lorsque Milos Forman, après ses études à la FAMU, l’école de mise en scène pragoise, réalisa son premier film, L’audition, il se heurta à l’exigence de sa production, qui lui demanda de le raccourcir pour passer de 47 à 20 minutes. L’industrie tchèque avait alors pour principe qu’un film soit ou court, ou long. Rusant avec la règle, l’apprenti cinéaste y adjoignit une seconde partie, Ah, s’il n’y avait pas ces guinguettes, totalement indépendante, pour diffuser cet ensemble comme un seul long métrage. Quoique tourné après L’audition, ce film est présenté avant dans un seul programme, ressuscité par Carlotta Films tel qu’il avait été exploité à l’époque de sa sortie en 1964. Deux jeunes amis ayant intégré des fanfares sèchent le concours où s’affrontent leurs formations respectives pour assister ensemble à une course de motos. Réalisé par Forman en contrebande, dans le temps libre laissé par le tournage de L’as de pique, son premier long, Ah, s’il n’y avait pas ces guinguettes charme par la confiance du réalisateur débutant dans les moyens du cinéma.

Loin d’être une simple toile de fond, la musique est filmée avec un intérêt sincère, dans des scènes qui laissent le temps aux répétitions de nous faire entendre des phrases musicales complètes, entrecoupées du discours passionné du chef d’orchestre qui rappelle à son groupe les commandements du bon musicien soviétique. Musical, le film l’est aussi par son montage, qui saute d’une fanfare à une autre dans des raccords syncopés. L’attaque des plans se fait à contretemps, usant de la mélodie et la rythmique de la répétition pour dynamiser leur succession, s’affranchissant de toute scène de présentation de l’action ou des personnages. On passe avec impétuosité d’un air folklorique à l’autre. Les répétitions de ces formations qui réunissent des musiciens de tous les âges sont interrompues par le vrombissement des motos qui se préparent pour la course, autre musique, autre rythme, dans lequel Forman voyait une matérialisation de sa recherche “d’un art qui puisse libérer les plus grandes quantités d’énergie”. 

 

 

 

 

 

 



Tourné avant le Printemps de Prague, le double programme se détache des intérêts du cinéma soviétique d’alors et de ses grands sujets héroïques vantant l’idéal collectif pour se concentrer sur des trajectoires solitaires et individualistes de garçons et filles qui aspirent à sortir du rang. L’audition filme avec un œil moqueur et bienveillant à la fois des jeunes gens qui se présentent à un radio-crochet. La vitalité des chansons est soutenue par la virtuosité d’une caméra 16 mm qui sait se faufiler toujours au bon endroit pour filmer le concours réel dans lequel s’insinue une trame fictionnelle (deux jeunes filles se présentent à l’audition puis retournent à la frustration de leur quotidien après avoir échoué pour l’une et renoncé pour l’autre).

Cousin de la Nouvelle Vague française, et de son attachement à filmer les goûts et aspirations d’une jeunesse enserrée dans un diktat social et moral, le cinéma de Forman s’ancre dans le réel pour y puise le naturel et la spontanéité. L’audition est d’abord un projet de documentaire muet dont l’idée vient au cinéaste en fréquentant le Sémafore, un cabaret tenu par ses proches amis Jiri Suchy et Jiri Slitr. En assistant là à une audition pour recruter de jeunes chanteuses, il est frappé par la vigueur ambitieuse avec laquelle la jeunesse se donne en spectacle. Ainsi, il dira : “J’étais sidéré par l’effet qu’un simple micro pouvait produire sur ces filles. Ce gros pied métallique agissait sur elles comme une baguette magique capable de leur donner la voix et la beauté qui leur faisait défaut. Les jeunes femmes qui s’échinaient ainsi, poussées par une ambition frénétique nous révélaient les traits les plus intimes de leur personnalité.” Encadré par la prestation du juge du concours, un chanteur star qui a réussi à percer, le film offre une galerie de visages, de voix, de prestations, qui se déchaînent dans l’interprétation de twists et de folk chanté en anglais ou en tchèque. Beau contrepoint au folklore classique interprété dans les fanfares, qui illustre une croyance dans les vertus collectives de la musique et dévoile le grand écart opéré par les jeunes de cette époque entre la culture des aînés et celles de leurs pairs outre-Atlantique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Comme le souligne très justement Bernard Bénoliel dans son texte de présentation de la rétrospective consacrée au cinéaste à la Cinémathèque française en 2017, Forman “sait unir dans un même geste la fresque et la miniatureAvant de “passer du zoo à la jungle”, comme le cinéaste résumait lui-même son passage d’Europe de l’est aux États-Unis, Forman met en scène des personnages insoumis qui fendillent le carcan créé par les adultes et le régime communiste. Thème dont il se souviendra en mettant en scène son premier film américain, Taking Off, qui raconte la fuite d’une jeune fille de milieu bourgeois vers une communauté hippie.

Raphaëlle Pireyre

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