En salles 25/10/2018

“L’envers d’une histoire” : un appartement à Belgrade

C’est l’une des plus modestes sorties de la semaines, mais ce n’est certainement pas une raison de manquer ce passionnant documentaire de Mila Turajlic consacré à l’un des pans de l’histoire contemporaine de l’Europe les plus méconnus.

C'était il y a un quart de siècle à peine, c'était à deux heures d'avion de Paris, comme on le disait alors (remember BHL...), et c'est une histoire, tragique, qui reste largement ignorée des jeunes générations, et pas seulement. La désagrégation de la Yougoslavie et son infernal glissement dans une guerre aussi absurde que terrible, avec ses massacres et “purifications” ethniques, installaient l'impensable au cœur même du Vieux monde, avant que les phares de l'actualité s'en détournent et aillent voir ailleurs, s'intéressant finalement peu à “l'après”... C'est l'une des grandes vertus de L'envers de l'histoire (un siècle yougoslave), sorti en salles par Survivance après une belle carrière en festivals (dont Lussas et La Rochelle chez nous), que de retracer tout ce processus en remontant évidemment, en amont, à l'après-guerre et à l'installation du pouvoir communiste de Tito, puis en suivant, après les années de guerre civile et l'éclatement du pays, la période d'exercice du pouvoir par Slobodan Milosevic, nationaliste tyrannique, surmontant les secousses de contestations internes et jouant un temps avec le flou de la position des chancelleries occidentales avant d'être destitué.

Surtout, la réalisatrice Mila Turaljic, née en 1979 et passée par la Fémis, profite de se trouver aux premières loges de l'observation politique de la situation intérieure, puisque sa mère, Srbijanka Turajlić, universitaire, est l'une des figures de proue de l'opposition à Milosevic, qui égrène ses souvenirs, parfois désabusée, et disserte avec ses amis, entre philosophie et exaltation, devant la caméra de sa fille. Surtout, l'histoire chaotique de la Yougoslavie prend un tour intime en jouant pleinement de la géographie même de l'univers des Turaljic, à savoir leur appartement partagé au moment du communisme et fermant alors à clé certaines portes de communication, pour presque trois quarts de siècle ! La petite et la grande histoire se confondent et la notion de vivre tout près de ses voisins sans les voir devient si concrète qu'elle évoque immanquablement ce qui a pu se passer entre Serbes, Croates et Bosniens, notamment, et qu'on a encore peine à croire aujourd'hui avoir été possible.

À Paris, le film est présenté au MK2 Beaubourg et les séances de 20h ce jeudi 25 octobre et le lundi 29 seront suivies d'un débat avec la réalisatrice et d'autres invités.

Christophe Chauville