En salles 19/06/2019

Buñuel, des femmes d’exception et un taulard

Une quinzaine de sorties et de rééditions en cette semaine du 19 juin 2019, avec “ Buñuel après l’âge d’or”, “Dirty God” et “Anna, un jour” en premiers de cordée.

Buñuel après l'âge d'or (photo de bandeau et photo ci-dessous) vient de recevoir une mention spéciale du jury au Festival du film d'animation d'Annecy, et c'est amplement mérité, tant ce projet est réussi et ce n'était pas gagné d'avance. Le Catalan Salvador Simó a en effet choisi de se plonger dans un “biopic”, du moins sur une période précise et jalonnée d'une personnalité fascinante de l'histoire du cinéma, en retraçant le moment où l'auteur du Chien andalou et de L'âge d'or, après avoir provoqué un ample scandale (voir la célèbre projection du Studio 28 à Montmartre), part sur son projet suivant et s'en voit profondément changé, notamment sur le tournage du film qui le ramène en Espagne : Les HurdesTerre sans pain pour son titre français.

Outre le graphisme assez formidable de ce “dessin animé”, la belle idée est d'avoir intégré des extraits des prises de vues réelles de ce documentaire sur l'une des populations reculées les plus pauvres de la péninsule ibérique du début des années 1930. Le film interroge aussi la démarche documentaire même du cinéaste, parfois aléatoire pour arriver aux images escomptées. Outre ce dernier, plusieurs de ses proches collaborateurs sont à l'honneur de l'histoire, à savoir Éli Lotar, l'opérateur ; Pierre Unik, l'assistant ; et Ramon Ancin, le producteur, qui devait être exécuté par les phalangistes en 1936. Un superbe film d'animation, onirique par moments (forcément pour un représentant majeur du groupe surréaliste !), et un regard précis sur une page d'histoire — la grande et celle du cinéma. Il n'y a pas hésiter pour savoir quoi aller voir au cinéma en priorité cette semaine...

 

 

 

 

 

 

 

 

L'autre option tentante est le Dirty God (photo ci-dessous) de la Néerlandaise Sacha Polak, qui est allée tourner en Angleterre pour suivre une femme martyrisée par un homme violent, ou plutôt un criminel sauvage, l'ayant arrosée à l'acide. L'inspiration de la fiction a hélas trouvé de multiples exemples dans la réalité, mais la réalisatrice prend le parti de ne jamais verser dans le pathos, ni de dramatiser ce que vit son héroïne, Jade, qui encaisse les regards et les remarques de défiance quand on découvre son visage abîmé ou son corps extrêmement meurtri, mais sans presque jamais se démonter. Elle sort en boîte, en robe légère et va chercher des partenaires virtuels sur des sites pour adultes. Avec l'espoir d'une opération de chirurgie esthétique qui pourra lui redonner une apparence en adéquation avec son flamboyant “moi”. Le film est porté par l'incroyable performance, bigger than life, de son interprète Vicky Knight, qui fut pour sa part victime, enfant, de graves brûlures dans un incendie. Et on retrouve, dans ce film aux allures de cinéma social anglais pur jus par moments, le talent d'une réalisatrice découverte dans le format court il y a une douzaine d'années, notamment à travers Teer, qui avait été sélectionné au Festival européen du film court de Brest en 2006.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une autre femme se battant contre l'adversité est au cœur d'Anna, un jour, premier long métrage de la Hongroise Zsófia Szilágyi, qui avait été présenté à la Semaine de la critique, à Cannes, en 2018 (où il y avait reçu le Prix de la Fipresci). Le titre est quasiment programmatique : tout se concentre sur une journée de la vie d'une femme, mère de famille stressée, écrasée par sa fameuse “charge mentale”, et qui découvre l'infidélité de son mari s'apprêtant à partir avec une autre. La mise en scène est millimétrée, froide, à la manière de nombreux maîtres des cinémas de l'est, le Kieslowski du Décalogue étant une référence qui vient forcément à l'esprit. Là aussi, ce que fait l'actrice du film, Zsófia Szamosi, domine l'entreprise et il faudra vraiment, à l'avenir, garder un œil et plus sur cette cinéaste quadragénaire venue du court et du documentaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Côté français, l'ovni filmique (ou ofni, donc ?) du jour est le Porte sans clef de Pascale Bodet (photo ci-dessous à gauche), où l'ancienne rédactrice de feue La lettre du cinéma – et réalisatrice du récent documentaire Presque un siècle, vu cette année à Brive et à Cinéma du réel et consacré à sa propre grand-mère à la veille de son centenaire – incarne elle-même une femme accueillante – le titre l'illustre à son tour. Son appartement devient une sorte d'auberge espagnole où différents individus débarquent et demeurent, se rapprochent et s'engueulent, dorment et mangent, parlent sans se fatiguer ou font des gestes bizarres. On croise là les figures familières de Serge Bozon, Astrid Adverbe ou encore Marc-Antoine Vaugeois, tandis que le distributeur de ce film atypique d'une durée d'une heure quinze environ est La Traverse, ce qui n'est guère étonnant après le travail de réédition effectué sur des films du label Diagonale l'an dernier. La parenté n'est pas fortuite et les aficionados apprécieront...

 

 

 

 

 

 

On ne terminera pas sans citer Nevada de Laure de Clermont-Tonnerre (photo ci-dessus à droite), tourné aux États-Unis avec le comédien flamand Matthias Schoenaerts ; on ne l'a pas vu à temps, mais on avait aimé, avant ce premier long, les courts métrages de celle qui avait commencé comme actrice avant d'aller tourner outre-Atlantique, déjà, le beau et délicat Atlantic Avenue, que nous avions eu l'occasion de proposer aux abonnés de Brefcinema et qui avait été suivi de Rabbit en 2014.

Christophe Chauville

À lire aussi :
Le palmarès du Festival du film d'animation d'Annecy 2019.
D'autres portraits de femmes, sortis en 2019, luttant contre l'adversité : Seule à mon mariage et La camarista.