DVD 24/02/2017

Un opus méconnu de Chris Marker

"Description d’un combat", tourné en 1960 en Israël, alors que l’état hébreu n’était âgé que de douze années. Il a fait l’objet d’une restauration en 2014. Il est sorti dans un généreux coffret DVD.

Description d’un combat appartient à ses films que Chris Marker avait décidé de ne plus montrer. Il ne s’en était pas expliqué, il ne s’expliquait d’ailleurs sur pas grand-chose – never explain, never complain – préférant laisser son œuvre parler d’elle-même. Sans doute moins piquant que ses premières virées en terres communistes (Dimanche à Pékin, 1955, Lettre de Sibérie, 1957), ce long court métrage tourné en Israël a suscité d’autant moins d’exégèses qu’il est demeuré longtemps invisible et que l’ampleur et la variété de la production de Chris Marker, disparu en 2012, ont donné assez de grain à moudre par ailleurs.

Cette édition DVD de Description d'un combat permet de découvrir ce film dans une copie restaurée et, grâce aux compléments proposés, de démêler les linéaments de sa genèse et la place de ce film en Israël.

Tout a commencé par une rencontre à Moscou avec le couple Lia et Wim van Leer qui rêve de fonder une cinémathèque en Israël et propose à Marker de réaliser un documentaire sur leur pays. Lia et Wim van Leer a raconté tout cela au cours d'une interview publiée par la FIAF. Pendant le repérage en janvier 1960, Marker prit de nombreuses photos dont certaines figurent dans le film et le tournage suivit en mai et juin. Du scénario élaboré alors, Marker écrivit qu’il n’en tint pas compte et remplaça « l’improvisation hâtives des autres films par une improvisation tranquille. »

Dans un entretien avec Éric Le Roy, Eva Zora raconte comment le montage fut piloté de manière précise par Marker. Elle travaillait le jour et lui passait, le soir venu, pour regarder ce qui avait été fait et laissait des indications écrites pour poursuivre.

Le commentaire, par la voix Jean Vilar, commence par ces mots : « Des signes, ce pays vous adresse des signes. » Signes de quoi ? Marker ne le dit pas. La formule pourrait convenir pour à peu près toutes les situations et tous les pays. Elle énonce moins un propos sur Israël qu’elle ne renvoie au rapport distancié, parfois amusé, que Marker entretient avec la réalité qu’il filme. Il engrange des images, des moments, des rencontres, des archives comme autant de signes – la sémiologie était à la mode, Mythologies de Roland Barthes est paru en 1957 – qu’il orchestre ensuite, en relation directe ou diffractée, avec le commentaire élégant qu’il distille, émaillé aussi de quelques private joke et autres références plus ou moins cryptées.

De quel combat s’agit-il dans ce titre emprunté à celui d’une des premières nouvelles Kafka ? Marker a senti la nécessité de le préciser dans un carton liminaire : « Nation élue, nation errante, nation martyre, nation ressuscitée, Israël a connu le combat sous toutes ses formes. Il en découvre aujourd’hui une nouvelle – le combat qu’un jeune État plein de forces doit mener contre lui-même pour rester fidèle, dans la victoire, à ce qui fut sa gloire dans l’oppression. » Et de prétendre que « sous les images de la vie quotidienne en Israël, se livre à chaque instant ce combat intérieur, moins apparent que celui des armes, et peut-être le seul décisif. » Ces mots orientent notre perception du film plus sûrement que les images elles-mêmes, aux significations à la fois plus littérales et plus disparates.

Au terme d’une analyse fouillée du film, éditée dans la plaquette du coffret DVD Christophe Chazalon, suggère une autre hypothèse, : « Description d’un combat apparaît non plus comme un film sur Israël à proprement parler, ni sur l’histoire de sa naissance, mais bel et bien sur une utopie socialiste en pleine action ». La scène du kibboutz prend, dans cette perspective, une place centrale. On peut d’ailleurs regretter que ce moment, un des rares en son direct, n’ait pas été sous-titré, ce qui semble avoir été le cas à l’origine si on en croit la reproduction des photogrammes dans Commentaires, édition des textes des premiers courts métrages de Marker.

On ne peut que suivre Christophe Chazalon quand il affirme que Description d’un combat est une œuvre bien plus complexe et réfléchie que ce qu’une première vision peut laisser croire. Le DVD
offre justement l’occasion de voir et revoir le film pour en mesurer toutes les dimensions qui n’auraient pas été perçues au premier regard.

Éric Le Roy a pisté tous les collaborateurs du film et en a retrouvé la plupart, du producteur André Valio à la compositrice Lalan, épouse de Zao Wou-Ki et proche de Pierre Barbaud, un des fondateurs du Groupe de musique algorithmique et qui avait signé les musiques des premiers films de Marker, autant d’éclairages précieux sur la genèse de ce film.

Description d’un souvenir, qui figure aussi dans ce coffret, d’une autre façon, permet de retrouver des protagonistes du film de Marker : le jeune Ali sur son kart, la femme qui prend la parole au kibboutz, cette autre, au cou de cygne, sur laquelle se clôt le film de Marker. Mais cet essai documentaire est un film à part entière, signé par le réalisateur Dan Geva, admirateur de Chris Marker, lequel lui avait écrit en découvrant combien cette réflexion personnelle amplifiait son propre film : « Jamais satisfait de mes films, je suis cependant conscient d’avoir pu entrouvrir certaines portes, indiquer quelques directions… mon souhait secret fut toujours que quelqu’un puisse prendre la relève et transformer mes croquis en peinture accomplie. Ce souhait se sera donc réalisé une fois seulement, et je ne pourrais jamais assez vous en remercier. »

L’excellente revue québécoise Hors champ a publié un entretien avec Dan Geva. Le passage où il évoque son film est reproduit dans la plaquette du coffret. On peut en retrouver l’intégralité ici.

Jacques Kermabon

 

Description d'un combat de Chris Marker, DVD, Tamasa Distribution, 24,95 euros.
Disponible depuis le 21 février 2017.