Living in America
On recommande à ceux qui l’auraient laissé passer en salle ce documentaire intelligent sur l’Amérique contemporaine, à la veille de l’élection de Trump et dans un coin paumé de l’Arizona.
Claus Drexel est un cinéaste plutôt rare, pusiqu'après des courts métrages à la fin des années 1990 (citons C4 en 1996) et un premier long métrage de fiction, Affaire de famille, en 2008, il aura fallu attendre encore plusieurs années pour revoir son nom, pour un documentaire remarqué dès sa présentation au Festival de Cannes, en 2013 : Au bord du monde. Suivant quelques sans-abris à travers les rues de Paris, Drexel posait les bases d'une démarche artistique que l'on retrouve dans America, dont le titre programmatique est délibérément ironique, comme l'intéressé le confie dans un entretien proposé en bonus de cette édition DVD : il n'était pas question de filmer le pays dans toute sa diversité, géographique ou sociale, mais de se concentrer sur un bout d'Amérique, au cœur de paysages mythiques si souvent filmés par le western, en laissant parler ceux qui y vivent. À Seligman, Arizona (456 habitants, selon Wikipédia), la caméra cadre avec un extrême soin esthétique – comme Herzog, aime à le préciser Drexel, lui aussi allemand, même s'il a presque toujours en France – des anonymes qui sont tous assis chez eux, en extérieurs ou dans un diner, comme pour poser en vue d'une photo et restant à papoter un moment, la parole et les questions de leur interlocuteur demeurant, à son instar, dans le hors-champ.
Alors, dans ce petit village si distant de la Californie et encore plus de la Côte Est, on se prépare au scrutin présidentiel en ne dissimulant guère, à quelques exceptions près, ses préférences pour ce nouveau “champion” désireux de redonner son lustre à la bannière étoilée. On vilipende “Hilary”, liée à un système honni, selon un leimotiv populiste sans frontière ; on revient en boucle sur le premier amendement et l'inaliénable droit à posséder des armes, fût-ce pour un enfant de cinq ans... La démarche documentaire est subtile, parvenant à nous faire réexaminer certaines convictions, au-delà de leur inanité de notre point de vue européen. Et, faute de s'éclairer complètement, s'explique en partie ce fait inéluctable de la présence de Trump à la Maison-Blanche et de la possibilité inattendue qu'il puisse y demeurer plus longtemps que prévu. Et il faudra peut-être à Drexel retourner donner une suite à son film, qui laisse songeur à bien des égards.
Christophe Chauville
America, de Claus Drexel, DVD, Diaphana Édition Vidéo, 19,99 euros.
Disponible depuis le 21 août 2018.
Photos : © Gloria Films.
