Cahier critique 14/11/2018

"West Front" de Roland Edzard

Quand acteur et réalisateur se lient au-delà de la fiction…

Étonnant documentaire que ce film-enquête d’un cinéaste sur l’un de ses ex-interprètes et ami. Roland Edzard et Franck Falise. Le premier fit du second le héros de son premier long métrage, La fin du silence. Lancé à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en mai 2011, et sur les écrans en décembre de la même année. Il racontait, dans une grande tension, l’histoire d’un jeune garçon jeté dehors par sa famille et qui disparaissait dans la nature. L’écho est ici très fort et le titre du long métrage résonne avec trouble, car la raison de ce “front ouest” est que Franck a disparu. Et Roland veut justement mettre fin à ce silence. Or le premier apparaît dès le plan initial, de dos puis de profil, pendant une prière musulmane collective. Suit un extrait de La fin du silenceet la voix off et calme d’Edzard expliquant le pourquoi de ce projet. Elle servira de fil conducteur pendant le voyage en Irak.

Car, oui, le cinéaste piste Franck, dont les dernières nouvelles parlaient, en 2012, d’une ville irakienne. Sur place, Roland fera chou blanc. Mais le jeune homme réapparaîtra de lui-même. Dans la réalité, en contactant son ami, viaFacebook, un an plus tard. Dans le film, en ressurgissant à l’image, au volant. C’est en captant le réel de leurs retrouvailles, à la faveur d’un aller-retour en Angleterre, que Franck se raconte. Le spectateur apprend des choses, des bribes, reconstitue comme il peut le puzzle de la disparition, des ellipses, des motivations. Reste un mystère. Opaque. Le réalisateur ne juge pas, ne moralise pas, ne conclut rien et ne remplit pas tous les trous. Il a passé un temps du film à chercher et l’autre à accompagner l’“ami prodigue”. L’ami stupéfait d’être fiché S. L’ami qui n’en revient pas que Roland soit parti sur ses traces en Irak. L’ami qui pleure après sa visite à ses parents. L’ami qui verse des larmes encore, en contemplant Paris et sa banlieue, depuis les fenêtres de l’appartement qu’il vient vider à Saint-Denis, avant de rentrer chez lui outre-Manche.

Le visage émacié de l’acteur émeut. La sobriété de la mise en scène et du dispositif impressionne en douceur, et nourrit le regard. Depuis que les images de West Front ont été tournées, le temps a passé. Franck a repris le chemin des plateaux. Gardien de hall d’immeuble dans Dheepan de Jacques Audiard, complice d’hôpital du héros de Patients de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, de passage dans des séries télévisées, et bientôt dans Revenir, de Jessica Palud. Présent et souriant sur les réseaux sociaux. Le film n’en est que plus intrigant. Sorte de bulle énigmatique du passé. D’un passé proche. D’un temps de tous les fantasmes. Sur quel front de vie Franck est-il vraiment allé ? Qu’a-t-il vécu ? Qu’en a-t-il retenu ? La fin reste ouverte. Ouverte à tous les vents.

Olivier Pélisson

Réalisation, image, montage et musique : Roland Edzard. Son : Mathieu Farnarier. Interprétation : Franck Falise, Yohan Maillard et Nihad Namo. Production : Envie de Tempête Productions et Red Shoes.