Cahier critique 12/12/2018

"Waterfountain" de Jules Follet

La goutte de trop.

Contrairement à son personnage, Jules Follet ne se laisse pas déborder et maîtrise complètement son entreprise, celle de la réalisation de son film. Waterfountain est un huis clos qui met face à face Armand Munster, chef d’une entreprise de caddies, et sa fontaine à eau, autrement dit, ses angoisses de faire faillite. Philippe Rebbot incarne le patron affolé à la perfection et on ne peut que se laisser entraîner dans sa chute. 

On comprend très vite que monsieur Munster est débordé. Les premiers plans présentent des détails du bureau où s’entassent feuilles, stylos, papiers en tout genre ; il n’est pas capable de trouver de quoi nettoyer la main de son comptable. Toute recherche et toute entreprise menée dans ce bureau semble être vouée à l’échec. Les sources de distraction sont diverses et variées et empêchent le personnage principal de se concentrer sur son vrai problème : son expert comptable l’a annoncé, il doit bientôt déposer le bilan.

À travers une mise en scène efficace et un montage rapide, le réalisateur transmet le sentiment d’affolement qui se saisit du personnage. Les dialogues sont en réalité moins des conversations que des informations données à une telle vitesse et à un rythme si saccadé que la parole n’est pas claire. Il n’y a pas d’amorce dans le champ / contrechamp entre monsieur Munster et son comptable, et pour cause : ils ne se comprennent pas. Le premier est insensible aux tourments de son client, le deuxième est hermétique aux conseils et explications de l’expert. On ne comprend pas en détail ce que disent le comptable et l’employé, il ressort simplement l’évidence : l’entreprise va mal. Le bateau coule et l’eau rentre de tous côtés.

La métaphore de l’eau est abordée dès la première minute du film. Gros plan sur le manteau du comptable trempé par la pluie. Une goutte tombe, puis une autre. La moquette se gorge d’eau. C’est le début de la fin. Ce goutte à goutte, associé à la musique aux notes marquées, retentit comme le bruit sec des aiguilles qui égrainent le temps. Petit à petit, un ennemi se dessine, la fontaine à eau semble incarner le mal qui ronge l’entreprise. Elle est traitée, si ce n’est en personnage, au moins en tant que présence qu’on rappelle régulièrement par un travelling, un plan fixe, jusqu’à ce qu’elle devienne comme folle, dans une sorte de provocation ou d’attaque. 

L’atmosphère est donc au malaise. Le film fait l’objet d’une gradation ; plus le temps passe, plus l’oppression est grande. La bande son devient angoissante, la sonnerie de téléphone retentit régulièrement, les plans d’abord frontaux deviennent plongeants et écrasent le patron accablé. La caméra bouge mais lentement, exerce d’imperceptibles travellings avant qui enserrent insidieusement le personnage. Le premier plan en dehors de la pièce cadre les murs de l’extérieur du bureau qui ressemble alors à une prison où un sur-cadrage accentue encore plus l’isolement et la pression du personnage.

Cette ambiance traduit le mal-être d’un monde qui va mal. Le virus ne se limite pas en effet à la société de caddies, mais se gangrène et se propage : le fournisseur de métal se suicide, la femme de Munster hurle, le démarcheur qui vend des fontaines à eau fait des heures sup’ pour doubler la concurrence… et tout ceci se répète. De la même manière que la relation père/fils parasitée par des “rendez-vous” imaginaires est reproduite, on se lègue les ennuis.

Paradoxalement, dans ce marasme se dégage des nuées d’humour. Des situations qui frôlent l’absurde poussent au rire et le court métrage en est allégé. D’autant plus qu’il se finit par cette note d’espoir ; ces quelques plans qui font naître le doute : un tel cauchemar ne serait-il pas justement un simple mauvais rêve ?

​​​​Anne-Capucine Blot

  • Réalisation : Jules Follet. Image : Erwan Dean. Son : Elton Rabineau. Montage : Alexis Noël. Musique originale : Romain Poirier. Interprétation : Philippe Rebbot. Production : Rue de la Sardine. 
  • Avec le soutien de la